APRES-MIDI : LES ELEMENTS STABILISATEURS –

L’EXEMPLE DU LAOS

 

Président de séance : Chansamone VORAVONG,

Animateur de la commission Asie

 

Mesdames et messieurs, c'est un grand honneur que me fait le Président de Démocraties en me confiant la conduite de la session de cet après-midi sur " les éléments stabilisateurs –l'exemple du Laos ". J'accepte ce rôle avec confiance, car je suis entouré de personnes aux compétences et aux notoriétés reconnues pour partager et débattre avec vous leurs expériences du Laos et leurs visions du développement.

J'ai donc l'honneur et le plaisir de vous présenter par ordre alphabétique : Amphay Doré, directeur adjoint du Centre d'Anthropologie de la Chine du Sud et de la Péninsule Indochinoise au CNRS, ancien président fondateur du Cercle de Culture et de Recherche Laotiennes, Marc Dufumier, professeur à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, président du Comité de Coopération avec le Laos, Yves Nouguérede, ancien chef du département de la coopération institutionnelle au Ministère de la Coopération, président de Mékong 2000, Pierre Rabhi, expert international dans la lutte contre la désertification et pour la sécurité alimentaire des populations, président de Carrefour International d'échanges de pratiques appliquées au développement, et enfin, Yang Dao, maître de conférence aux universités de Hameline et de Metropolitan State en anthropologie de l'Asie du Sud Est.

Nous sommes heureux aussi de reconnaître dans la salle des personnes compétentes et des personnalités qui apporteront leur éclairage à nos discussions. Qu'elles veuillent bien accepter nos remerciements. Nous voudrions saluer les participants si nombreux à notre colloque et, également tous ceux, absents, qui nous ont envoyé leur encouragement et manifesté leur intérêt.

 

Le titre de la session de cet après-midi n'a sûrement pas manqué de surprendre. D'abord au sujet du Laos. Ne figurant pas ou si peu souvent dans les média, il a été ignoré, oublié. J'ai assez de preuves pour affirmer que beaucoup de personnes ne connaissent pas le nom " Laos " et ne savent pas où ce pays se trouve. Puis au sujet des éléments stabilisateurs. Quel intérêt représentent ces éléments, dans la région où l'on parle avec éloges, parfois même avec crainte des nouveaux dragons et des petits tigres, des fortes croissances économiques… ?

Ce n'est pas juste. Le Laos mérite qu'on lui prête une meilleure attention. Car, dans l'histoire, dans le passé même récent, ce pays a été reconnu utile et nécessaire pour jouer le rôle de modérateur et de temporisateur dans les affrontements géopolitiques et idéologiques des grandes puissances et des puissances régionales. Par exemple :

En 1954, à Genève pour le règlement du premier conflit indochinois, la Chine, pour éviter le risque d'avoir à sa porte l'intervention massive des Etats-Unis, dans son intérêt national, s'est désolidarisé de la thèse du Viet Minh de partage du Laos, et s'est ralliée à la position française et occidentale pour reconnaître celui-ci son identité nationale propre et son intégrité territoriale.

En 1962, lorsque les affrontements Est-Ouest au sujet du Vietnam risquaient de devenir incontrôlables, Khroutchev et Kennedy se sont rencontrés à Vienne et se sont mis d'accord pour que le Laos devînt neutre. Les Laotiens, à la suite de la rencontre et des accords des trois princes - neutraliste, droite et gauche - à Zurich, ont formé un gouvernement provisoire d'union nationale pour déclarer la neutralité du Laos devant la communauté internationale réunie à la Conférence de Genève. Les pays signataires composés des grandes puissances occidentales et de l'Est et des voisins du Laos, ont donné leur engagement pour garantir cette neutralité et pour soutenir le Laos et ce gouvernement économiquement et techniquement.

Il faut souligner que les deux conférences de Genève sur le règlement du conflit indochinois en 1954 et sur la neutralité du Laos en 1962, ont autorisé celui-ci à constituer son armée nationale et la France à en assurer la formation. Elles ont exigé par ailleurs que tous les militaires étrangers (le Nord-Vietnam ayant admis l'existence des siens) quittent le territoire laotien, à l'exception de ceux de la Mission militaire française d'instruction.

Cette neutralité qui a été accueillie avec joie et soulagement par l'ensemble de la population laotienne, n'a servi dans les faits que d'alibi aux pays étrangers plus nombreux encore, pour s'ingérer dans les affaires intérieures laotiennes. Le gouvernement provisoire d'union nationale a duré 12 ans juridiquement, mais n'a pas connu d'existence véritable. Malgré cela, ce qui restait de ce gouvernement a très courageusement et par tous les moyens demandé aux pays signataires sur la neutralité du Laos de respecter leur engagement. En 1963 par exemple, le premier ministre du Laos s'est déclaré défavorable au règlement du conflit au Vietnam par la guerre et par conséquent, au survol de son espace aérien pour les bombardements sur le Vietnam. Par ailleurs, il est intervenu auprès de la communauté et des instances internationales, y compris les Nations-Unies, pour dénoncer les interventions militaires nord-vietnamiennes dans son pays. Tout cela , vous l'imaginez bien, a été sans résultats !

Devant l'escalade de la guerre et la détérioration de la situation au Laos, la France a invité les trois princes laotiens à se rencontrer à La Celle Saint Cloud. Il a été clair alors qu'aucun des princes n'était maître chez lui: le Laos, quels qu'en soient les princes, dépendait de l'étranger.

C'est donc au cours de cet exercice de la neutralité que le Laos a le plus souffert de la guerre du Vietnam. Savez-vous que la piste Hô-Chi-Minh (du nom du grand révolutionnaire vietnamien) qui était une route pour acheminer hommes et armements du Vietnam du Nord vers le Sud, se trouve bel et bien au Laos, pas au Vietnam ? Officiellement, le Laos n'était pas impliqué dans la guerre. Mais savez-vous qu'il a été un des pays les plus bombardés dans l'histoire du monde : 500.000 missions de bombardement de 1964 à 1973, c'est-à-dire un bombardement aérien toutes les huit minutes pendant neuf ans, soit une tonne de bombes par habitant ? Certes, les batailles et les objectifs militaires justifiaient en partie cette tragédie. Mais c'est surtout pour d'autres raisons - techniques, météorologiques et financières, même après l'arrêt des hostilités sur le Vietnam avec l'ouverture des négociations américano-vietnamiennes de Paris - que les bombes destinées au Vietnam ont été déversées sur le Laos, parmi lesquelles beaucoup de mines antipersonnel connues sous le nom de bombilles.

Ces mines larguées du ciel et des engins non explosés, qui infectent 50% du territoire laotien, blessent ou tuent encore chaque jour les habitants du Laos, parmi les enfants et les cultivateurs particulièrement.

A la fin de la guerre du Vietnam, des trois peuples d'Indochine, seuls les Laotiens ont réussi à conclure entre eux un accord de paix et de réconciliation nationale et à former un gouvernement de coalition et d'autres institutions et d'organisations composées (politique, militaire, police…). Cependant, à la suite des Khmers Rouges, puis des Nord-Vietnamiens, qui ont pris le pouvoir dans leurs pays respectifs par les armes, la partie laotienne communiste ont dissout les institutions de réconciliation nationale et ont pris le pouvoir au Laos. Bien qu'aucun coup de feu n'y ait été tiré, le Laos en changeant de régime politique, s'est amputé de plus de 10% de ses ressources humaines et a connu pendant plusieurs années une période des plus sombre de son histoire.

En résumé, le Laos, par sa situation géographique, a été reconnu utile pour la protection et la sécurité des pays de la région de l'Asie du Sud-Est et pour la paix. Les Laotiens ont été reconnus comme un peuple foncièrement pacifique et tolérant, capable d'initier des dynamiques de paix (après Genève de 1954, Genève de 1962 et les accords nationaux de 1973).

L'histoire récente vient de montrer cependant que le Laos n'a pas pu faire valoir effectivement ses qualités, parce qu'il était dépendant des aides étrangères qui le tiraillaient. Il a même payé chèrement les excès et les folies des autres.

Les questions que nous voudrions alors poser aux intervenants sont : le Laos possède-t-il des atouts et des potentiels pour son développement vers l'autonomie ? En corollaire, dispose-t-il toujours des éléments stabilisateurs - pour employer les termes du titre de notre séance de cet après-midi - qui le sauvegarderaient des échanges marchands internationaux et qui lui permettraient un développement harmonieux et durable à sa mesure ? Alors, quel développement pour le Laos ?

C'est aussi la question que nous souhaitons poser un peu plus tard à Pierre Rabhi, dans une problématique humaine et universelle. A présent, je voudrais demander à Marc Dufumier de prendre la parole: Quel développement pour le Laos? 

 

 

Quel développement pour le Laos ?

 

par Marc Dufumier,

Professeur à l'Institut National Agronomique de Paris-Grignon.

 

La question, me semble-t-il, qui m'est posée est " Quel développement pour le Laos ?" Ma première angoisse, pour être franc, est que je ne suis pas sûr d'avoir une quelconque légitimité pour répondre à une telle question. Je suis de ceux qu'on appelle des experts . J'interviens dans le Laos depuis 1974, c'est-à-dire que j'ai connu le Laos sous l'ancien régime, et j'ai continué d'intervenir ensuite sous le régime existant. Bien qu'ayant vécu trois ans au Laos, je ne suis qu'un étranger dans ce pays et je n'ai de vision du Laos qu'à travers des interventions qui concernent pour l'essentiel la formation et l'agriculture. J'interviens au titre de professeur à l'Institut National Agronomique et ceci dans des projets d'appui à la formation, en particulier aujourd'hui à la formation de niveau supérieur, et j'interviens aussi souvent au titre du C.C.L., le Comité de Coopération avec le Laos, dont je suis aujourd'hui encore pour quelques mois président.

Je tiens donc à vous dire que les opinions que je vais formuler aujourd'hui ne sont que des opinions personnelles. C'est vrai qu'à force de fréquenter la société laotienne, on croit la comprendre, mais il me faut reconnaître que sans doute il n'en est pas ainsi. Les réalités sont toujours plus complexes que ce que peut en croire un expert étranger de passage, même s'il s'agit de passages prolongés. La deuxième chose que je voudrais vous dire, en ce qui concerne mes propos de cet après-midi, est qu'étant agronome et travaillant surtout en rapport avec l'agriculture, j'ai peut-être une vision un peu déformée du développement, en attachant une très grande importance au développement agricole. Mais après tout, dans un pays où encore plus de 80% de la population est rurale, où une grande partie du revenu national net est agricole, je crois quand même que je ne serai pas complètement hors sujet quand je vous parlerai d'agriculture.

 

Le Laos venant d'entrer dans l'ASEAN, ayant depuis quelques années une politique de large intégration aux échanges marchands internationaux, la question fondamentale me semble être : que va-t-il en résulter pour le développement agricole du Laos ? Et en particulier, la voie de développement pour le Laos est-elle nécessairement la voie tracée par les autres pays de l'Asie du Sud Est ? Après tout, j'ai déjà entendu des personnes dire qu'il allait falloir s'aligner sur les normes de ces pays.

En ce qui concerne le développement agricole, on met souvent en avant les réussites des autres pays de l'Asie du Sud Est, du fait qu'elles ont atteint une relative autosuffisance vivrière (la Thaïlande étant même largement exportatrice), sur la base d'une révolution verte, c'est-à-dire sur la base de rendements en céréales (en riz en particulier) très élevés, à travers une agriculture par contre qui n'est pas forcément très mécanisée, mais en tous cas très chimisée, c'est-à-dire qu'elle emploie au-delà des variétés dites à haut rendement, beaucoup d'engrais, de pesticides, de fongicides, d'herbicides... Des produits qui peuvent s'avérer toxiques et dangereux. Est-ce possible pour le Laos ? Ma réponse sera que ce n'est ni possible, ni souhaitable.

Un autre point sera de se demander si le Laos va suivre la voie tracée par les autres pays de l’ASEAN en matière d'industrialisation, donc à travers une industrie surtout productrice de biens de consommation, et qui met à profit ce qu'on appelle les avantages comparatifs de l'Asie du Sud-Est, à savoir sa main-d'œuvre bon marché. Peut-être pourrait-on voir à travers l'apparition de manufactures textiles au Laos le préambule à ce que pourrait être une industrialisation de cette nature. Mais ne nous y trompons pas, certaines de ces industries ne sont que des industries d’assemblages, qui importent les tissus et même parfois des tissus prédécoupés, et dont parfois le rôle n'est que d'assembler l'étiquette " made in Lao ". La valeur ajoutée produite par ce genre de manufactures ne me convainc pas sur sa capacité à fonder le développement du Laos sur ce type d'industrialisation. Mon opinion est (et toute contradiction étant bienvenue) que la chance du Laos serait, même s'il s'intègre à l'ASEAN et aux échanges commerciaux internationaux, de pouvoir conserver son originalité et ses avantages comparatifs actuels. Les experts du développement pensent que, quand les pays s'intègrent aux échanges commerciaux internationaux, ils doivent se spécialiser selon leurs réels avantages comparatifs.

 

Et quels sont actuellement les avantages comparatifs du Laos ? Je dirais qu'il y a d'abord la richesse forestière. Mais elle peut s'épuiser, et peut ne pas s'avérer durable. On cite aussi les ressources hydroélectriques, et je pense qu'il faut prendre cela très au sérieux, car il y a de ce côté de réelles possibilités. Je ne suis pas sûr que ce soient les ouvrages hydroélectriques et le barrage en prévision qui sont les plus destructeurs de l'environnement au Laos. Peut-être qu'une exploitation forestière inconsidérée (mais qui ne l'est pas autant au Laos qu'elle ne l'est aujourd'hui en Birmanie, au Cambodge et en Thaïlande) serait plus à craindre.

Une grande originalité du Laos est sa faible densité de population, à 20 habitants/km², qui fait de lui une exception en Asie. On ne peut pas, de ce fait, proposer des développements agricoles de même nature que dans le delta du Fleuve Rouge où il y a des régions à 1000, 1500, 2000 hab/km². Et si la révolution verte, cette agriculture très intensive, très exigeante en travail au quotidien et très chimisée peut se justifier dans un pays densément peuplé, je ne suis pas sûr qu'il faille concevoir le développement de l'agriculture au Laos vers une telle intensification, surtout si elle est exigeante en intrants importés et coûteux, connaissant l'absence de débouchés du Laos vers la mer. Cette absence est d'un côté un avantage comparatif du Laos, car grâce à cela, il a été un peu sauvegardé des échanges marchands internationaux et il a pu conserver son originalité et sa civilisation, à l'inverse d'autres sociétés dont les mœurs ont étés laminées par ces échanges. Il faut savoir de toutes façons que les engrais, les pesticides, et tous ces produits pondéreux arriveront toujours plus chers au Laos, surtout si la voie d'acheminement de ces consommations intermédiaires pour l'agriculture traverse un seul pays. Et même si les voies s'ouvrent vers les autres pays, le risque de voir les voisins forcer sur les prix pour ces intrants existe. Je suis donc, pour ma part, très interrogatif sur un modèle de développement fondé sur l'importation de produits chimiques étrangers venant de loin, et dont le prix, à l'arrivée, serait relativement coûteux.

Je crois qu'il faut aussi considérer que, même s'il existe de l'agriculture attelée, un peu comme en Thaïlande ou d'autres pays d'Asie, l'agriculture qui existe au Laos est essentiellement manuelle. Il y a encore un grand nombre de gens qui vivent de l'agriculture d'abattis-brulis, et qui n'ont pour seul outil que le sabre d'abattis, la hache et le feu. C'est un fait qu'il faut prendre en compte lorsque l'on veut penser à des voies de développement pour le Laos et notamment pour ses ethnies minoritaires, mais pas seulement pour ces populations.

Le Laos ne bénéficie pas, en termes d'avantages comparatifs, de qualité de sols et d'écosystèmes extraordinaires. La plaine de Vientiane, qui est une des zones les plus densément peuplées, a certes quelques sols alluvionnaires du fait de la plaine d'épandage de crues du Mékong et de la Nam Ngum, mais cela n'égale pas les zones d'épandage des autres pays. La plaine de Vientiane ressemble, à la limite, au Nord Est de la Thaïlande, c'est-à-dire que ses sols ne sont pas extrêmement fertiles. Ceci étant, comme c'est la zone la plus peuplée, je pense qu'il était justifié de concevoir des projets d'irrigation pour cette région, mais les ouvrages qui ont été mis en œuvre n'étaient peut-être pas les mieux conçus, encore que l'existence d'énergie hydroélectrique fait qu'une irrigation sur la base de stations de pompage ne crée pas au Laos de dépendance énergétique à l'égard de l'étranger. La dépendance énergétique envers une ressource nationale ne me semble pas trop handicapante.

 

Le danger que je crains, serait que les agriculteurs laotiens soient obligés de s'aligner sur les prix internationaux du riz. On pense que c'est la Thaïlande, puisque c'est d'elle que vient le riz importé au Laos, qui fait le prix du riz, mais la Thaïlande elle-même s'aligne sur des prix décidés au Etats-Unis, en Caroline du Sud, en Louisiane, où on a des moissonneuses-batteuses, des tracteurs de forte puissance, des semis de très grande largeur, où la valeur ajoutée, par actif et par an, est 100 fois supérieure. Pour être compétitifs, et s'il n'y a pas de protection, les agriculteurs laotiens devraient donc accepter une rémunération 100 fois inférieure. Les gens quitteraient donc la campagne pour les villes et formeraient une main-d'œuvre bon marché pour les industries dont je parlais tout à l'heure. Je crois qu'il y a là une réelle question.

La ligne actuelle est très marquée sur l'autosuffisance alimentaire, mais je m'interroge sur la compatibilité entre une ligne affirmée d'autosuffisance alimentaire et une trop grande ouverture sur les marchés extérieurs. Je ne connais pas tous les accords de l'intégration du Laos à l'ASEAN, mais je pense que le Laos devrait avoir le droit de protéger son agriculture vivrière comme le font d'ailleurs la France, les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud et Taiwan. La révolution verte des pays d'Asie s'est, de toutes façons, faite à l'abri de protection aux frontières, c'est-à-dire de droits de douane sur les importations de riz. Je ne vois donc pas pourquoi on devrait interdire au Laos de faire cela.

 

Quel est donc fondamentalement le réel avantage comparatif du Laos ? C'est l'extrême diversité de ses ressources. C'est une paysannerie qui sait très bien mettre en œuvre des systèmes de production de polycultures et d’élevages particulièrement diversifiés. De la petite irrigation s'impose, et il y a des savoir-faire au Laos, en termes de petits barrages élévateurs au fil de l'eau dans les zones montagneuses en particulier, qu'il ne faut pas dédaigner. Tout ceci est parfaitement améliorable. De plus, il y a une riziculture qui resterait, toutes proportions gardées, relativement extensive. Car ce ne sont pas les terres cultivées qui manquent au Laos, c'est la force de travail, lorsqu'il y a des pointes de travail en période de repiquage du riz. Et ces Laotiens, cette paysannerie lao que l'on a prétendue un peu indolente dans les textes coloniaux d'autrefois, regardez-la travailler au long du repiquage. Et s'il est vrai que l'on fait la fête pendant la saison sèche, c'est au demeurant fort agréable.

Je crois qu'il ne faut pas viser une agriculture aussi intensive et chimisée que dans certains pays voisins. Laissez-moi vous donner l'exemple du coton. Il ne faut pas répéter ce qui a été fait en Thaïlande. Toutes les régions qui ont été productrices de coton en Thaïlande sont aujourd'hui totalement envahies par un parasite, des insectes piqueurs-suceurs, qui se sont déployés en grand nombre à cause de la monoculture de coton, et à cause de l'usage inconsidéré de pesticides auxquels ces insectes sont devenus résistants, pour essayer de les éradiquer. Il y a aujourd'hui au Laos, en terme de matériel génétique et de capacité de savoir-faire de la paysannerie, la possibilité de produire du coton de façon originale, que ce soit pour l'exportation ou pour ravitailler le marché intérieur pour les filatures. Il y a réellement moyen de développer le coton dans des systèmes de polycultures élevages, avec des variétés locales velues, ou alors des variétés introduites, mais qui respectent le fait qu'étant velues, les insectes piqueurs-suceurs n'arriveront pas à les atteindre. Ceci évitera au Laos d'importer des pesticides. Ces cotons seront à fibres moins longues et n'auront donc pas une qualité technologique standard internationale, mais peut-être que le Laos pourra développer sa filière industrielle, sur la base de filatures et de machines moins violentes. Je ne pense pas qu'il faille nécessairement conserver à tout prix la tradition du coton artisanal. Je pense qu'il est possible de ravitailler le marché urbain et même le marché international avec des tissus en coton manufacturés avec des fibres peut-être plus courtes et d’aspect plus rustique qu'il conviendrait même de labéliser comme authentiques lao.

Il y a de réelles potentialités dans l'élevage pastoral. Notamment à Phongsaly où il y a des réserves fourragères considérables pour un élevage de buffles extensif. Et de fait, on voit que certaines de ces régions sont en train de se spécialiser dans l'élevage de buffles à destination de la Thaïlande, où l'élévation du pouvoir d'achat permet à des gens de préférer le buffle au poisson. A Phongsaly, la paysannerie est en train d'inventer des systèmes d'élevage où les buffles pâturent les herbes aussitôt après l'abattis-brûlis, ce qui favorise la croissance du recrus ligneux et permet ensuite de faire pâturer des buffles. Ne peut-on pas promouvoir ces pratiques, au prix d'une aide peu coûteuse, s'il suffit par exemple de fournir des services vétérinaires ? Ne devrions-nous pas encourager ces systèmes que la paysannerie est prête à appliquer ?

Par ailleurs, je pense que, contrairement à ce que certains pensent, il ne faut pas nécessairement éradiquer la culture des abattis-brûlis. Elle ne détruit pas, à mon sens, plus gravement la forêt que l'exploitation inconsidérée de certaines compagnies forestières. En effet, la forêt qui est abattue n'est pas la forêt vierge d'autrefois mais une forêt déjà abattue auparavant, qui est redevenue dense. Et ceci ne crée pas autant d'érosion qu'on le pense, car il s'agit seulement de deux années de culture. Ce qu'il faut en fait éviter, c'est l'extension de ces cultures qui toucheraient alors la forêt vierge et la bio-diversité. Il faudrait donc veiller à ce que la paysannerie lao dispose des revenus monétaires qui lui enlèveraient le besoin d’étendre encore davantage l’abattis-brulis, et cela à moindre coût. A Luang-Prabang, des paysans protègent aujourd'hui à l'intérieur du recrû forestier ce qu'on appelle un mûrier à papier. Celui-ci peut être cultivé au sein même du recrû forestier, et son écorce trouve un marché vers le Japon ou la Corée, où l'on en fait des papiers de luxe et des billets de banque.

Ainsi, pour que le Laos mette à profit ses avantages comparatifs, il lui faut maintenir l'extrême diversité de ses ressources, de ses systèmes de culture et d'élevage. Et peut-être lui faut-il greffer là-dessus de nouveaux systèmes, en termes de transformations agro-industrielles, qui permettent de transformer les produits que le Laos est capable de produire sur place, surtout les produits de la forêt , (ainsi, par exemple de produire du papier à partir de mûrier à papier, procédé auquel s'intéresse déjà la Corée). Je suis cependant un peu sceptique en ce qui concerne le benjoin, que certains tentent de promouvoir pour éradiquer la culture d'abattis-brûlis, car l’exploitation du styrax commence beaucoup trop tardivement. Il y a souvent moyen d'assurer une amélioration du niveau de vie d'une majorité de la paysannerie laotienne, en intégrant l'ensemble de ces cultures et en tenant compte du savoir-faire qui prédomine déjà, et sans supprimer les méthodes qui existent. Je dirais d'ailleurs que les experts qui ont attiré l'attention sur le danger que pourrait représenter l'abattis-brûlis ne connaissaient pas beaucoup l'agriculture, ni les systèmes de production laotiens.

 

Il me semble enfin que nous pourrions tous œuvrer avec des mesures d'accompagnement et pas nécessairement de gros projets, pour que partout au Laos, chaque région possédant ses propres ressources, on sauvegarde la diversité et améliore le prix de ses produits sur les marchés. Quitte à ce que le Laos mette en avant l'image qu'il donne aujourd'hui, c'est-à-dire une image de qualité labélisée. Dernier exemple : les confitures. Il y a quelques années, une usine de transformation de fruits devait s'établir sur la plaine de Vientiane, mais elle est tombée en faillite avant même de fonctionner. Si vous trouvez aujourd'hui (certes à un prix élevé) des confitures lao au Bon Marché, c'est qu'elles proviennent de filières très récentes et ingénieuses. Depuis Kassi, depuis les régions de Vangvieng, on transporte de la pâte de fruit déjà pasteurisée, que l'on transforme à Vientiane. Il s'agit de produits totalement naturels, qui ne seront vendables que si le client est en mesure de payer plus cher, je l'admets, car ils sont fabriqués de façon tout à fait manuelle. C'est ce genre de produits qu'il faudrait sûrement promouvoir, et peut-être, ainsi, la société lao pourra mettre à profit sa diversité, pour connaître un développement durable et maintenir sa culture, son identité.

 

Laos: une renaissance spirituelle à l'heure de l'ASEAN

 

par Amphay DORE

 

Directeur-Adjoint du Centre d'Anthropologie de la Chine du Sud et de la Péninsule

Indochinoise (CNRS),

fondateur du Cercle de Culture et de Recherches Laotiennes (CCRL)

 

 

1. Préambule : les constantes lao

 

 

Après les confrontations et défis de la zone Asie-Pacifique abordés précédemment1, il est justifié de parler maintenant, à propos du Laos, d'éléments stabilisateurs.

 

En effet, on ne parle pas de "confrontation" lorsque l'on est un pays de cinq millions d'âmes -un David donc- face à des Goliath pouvant aligner 60, 80, voire plus d'un milliard d'habitants.

 

On parlera plutôt "d'épreuves". En effet, sur une période de 2000 ans environ, on peut estimer que la vallée moyenne du Mèkhong, qui a vu naître le Laos, a été envahie à peu près tous les 35 ans, soit par une puissance septentrionale, soit par une puissance méridionale, soit par les deux, soit lorsque celles-ci étaient affaiblies, par des voisins orientaux ou occidentaux.

 

En raison de la structure physique régionale, les principales interventions étrangères s'opéraient sur l'axe vertical, livrant alternativement la vallée moyenne du Mèkhong à la mouvance septentrionale ou méridionale. Et ce processus se reproduit sous nos yeux puisque le Laos vient de faire son entrée dans 1' ASEAN.

Néanmoins, de ce tableau de bouleversements cycliques émergeaient, de temps à autre, avec l'avènement de rois réputés sages, des périodes de pouvoirs forts au Laos. On constatait alors que la vallée moyenne du Mèkhong constituait un foyer civilisateur et que la Péninsule jouissait de la paix. La tempête avait cessé, l'arbre s'était plié mais non brisé ; ses racines avaient tenu. Mieux encore, il se redressait paré des fleurs soufflées par la dernière bourrasque.

 

Car le Laos est le centre géographique de l'Asie du Sud-Est péninsulaire. En sus de la vallée du Mèkhong, le pays était relié, depuis plus de deux millénaires, à la Chine du Sud et aux pays côtiers voisins par un important réseau de routes caravanières dont les routes modernes, construites à 1' époque coloniale ou planifiée de nos jours dans le cadre d'un réseau international, ne sont souvent que la réplique améliorée.

L'existence, à haute époque, de ce réseau routier, nous autorise à penser sans grand risque d'erreur, qu'une grande part des événements régionaux l'ont empruntée et que l'histoire de

 

 

 

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' Les précédents intervenants étaient, par ordre chronologique: MM. F. Doubin~ ancien ministre; P. Cavoleau, expert international; G. Chouraqui, Directeur-A.djoint du Ministère français des Affaires Etrangères; J. P. Gomane, Vice-Président de 1' Institut du Pacifique; Général Eyraud, Expert international, Kong Quan, Premier conseiller de 1' Ambassade de la République Populaire de Chine en France.

 

l'Asie du Sud-Est ne peut être définitive tant que celle du Laos ne sera pas parfaitement élucidée. Force est de constater, malheureusement, que c'est l'inverse qui prévaut : c'est l'histoire du Laos, qui parmi celles des pays de la région, reste la moins connue.

 

Laos : centre géographique de la Péninsule, certes, mais centre enclavé, difficile d’accès eu égard à son relief escarpé, à son climat rigoureux et à ses forêts malariennes. Centre non moins, pour autant "désiré", "convoité" même, de part sa centralité qui lui confère une position géopolitique inégalée, ses bois précieux dont le camphrier, son benjoin, son sticklaque, son or et ses produits de pharmacopée orientale qui justifiaient l'investissement de tous les efforts et de tous les risques.

 

Lorsque l'on aborde le Laos, on le fait avec lenteur et circonspection, à la manière d'un chemin initiatique. Les grands événements historiques y provoquent, épisodiquement une accélération de rythme. Mais une fois produits, lesdits événements se décantent lentement, déposant au fond de la mémoire collective des sédiments en couches superposées qui -soit dit en passant- font le bonheur de ceux qui savent les interpréter. Les événements laissent, dans la vibration laotienne, une trace durable.

 

Ce qui est vrai de l'ordre historique l'est aussi de la préhistoire : on a retrouvé dans différentes régions du pays des squelettes ou des restes de squelettes d'hommes et d'animaux divers, dont ceux d'un dinosaure de petite taille (long quand même de cinq mètres), qui serait, selon les spécialistes, le témoin d'un échelon manquant. Et il faut souligner la remarquable continuité de la faune préhistorique jusqu'à l'époque présente : certains poissons et le fameux Sao-la, une espèce d'antilope qui a récemment défrayé les chroniques du Sud-Est Asiatique, ont conservé des caractéristiques apparues depuis plus de cent millions d'années.

 

Conservatoire de la faune, le Laos l'est aussi de la flore, dont le nombre s'élèverait, selon les spécialistes, à environ 45 000 espèces. Celles-ci sont organisées en "écho-systèmes généralisés", c'est à dire, selon la définition de M. Jacques Barrau "à grand nombre d'espèces mais représentées chacune par un nombre restreint d'individus, à productivité primaire élevée, aux ressources variées mais dispersées" 2.

 

Et il est amusant mais non fortuit, de constater que cette définition peut également s'appliquer aux habitants du pays, répartis, comme on le sait, en plus de 40 ethnies pour seulement cinq millions d'individus.

 

Enfin, le caractère conservatoire du Laos n'a pas épargné le domaine des traditions, des religions et de la spiritualité. Pour ne parler que du bouddhisme lao, rattaché officiellement à l'Ecole ceylanaise depuis la fin du XIV e siècle, on y constate la survivance d'éléments de tradition mône, tantrique et lamaïque, sur un fond composite de chamanisme, de culte de génies, de brahmanisme, de confucianisme et même de taoïsme.

 

L'ensemble de ces éléments se sont conjugués, non sans heurts, à l'origine, puisque chacun d'eux était 1'expression du pouvoir politique dominant du moment mais rapidement neutralisés dès lors qu'ils tombaient dans le creuset laotien. Ces éléments se conjuguaient donc 2

 

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2. J.Barrau, "L' Asie du Sud-Est, berceau culturel", Etudes Rurales, n° 53-56, jan-fév. 1974.

avec le temps, pour affiner une vision harmonique du monde et conférer au Lao une inclination et

une aptitude particulières à gérer la paix. Et il est remarquable que ces représentation et attitude, loin de disparaître avec le temps des rois, ont perduré jusqu'à nos jours.

 

2. Héritage et renouveau spirituels

 

Après ce long préambule dont l'objet est de souligner la place et les constantes du Laos tant dans son ancrage physique que dans son environnement écologique, son histoire et sa civilisation, je voudrais maintenant aborder le domaine de l'héritage et du renouveau spirituels.

 

En bref, on peut résumer les différentes phases historiques des deux dernières décennies ainsi : comme chacun sait, dans le cadre d'une stratégie communiste globale visant l'ancienne Indochine Française, la République Démocratique Populaire Lao fut instaurée le 2 décembre 1975. Un régime socialiste "pur et dur" s'en suivit pendant environ dix ans. En 1986, le Parti et le Gouvernement lao décidèrent d'introduire un "nouveau mécanisme économique" qui ouvrit les portes du Laos à "l'économie socialiste de marché" qui prévaut jusqu'à présent.

 

Ce qui a attiré mon attention, dès le début du nouveau régime, ce fut le clin d’œil lancé à la tradition. En effet, on peut lire dans la IV e Résolution du Parti Populaire Révolutionnaire Lao, rédigée en 1975-76, un appel à "préserver les belles traditions lao", sans les préciser d'ailleurs. Et, parallèlement à 1'engagement d'une lutte ouverte contre les "croyances et superstitions", on continuait à développer la thèse de la convergence historique entre bouddhisme et marxisme : le nirvana bouddhique ne pouvait être autre que le stade final du processus de développement historique, le communisme.

 

Notons qu'avant même l'instauration de la République Démocratique Populaire Lao, les Forces Patriotiques avaient accordé toutes leurs faveurs au monastère de Sok Pa Louang, à Vientiane, dirigé par le vénérable Pal Anantho, grand maître de l'Ecole de la Forêt, qui constitue, aux yeux de tous, l'école spirituelle par excellence. Plus étonnant encore fut la confirmation par les nouvelles autorités, en 1975, du vénérable Saly, l'héritier spirituel du vénérable Pal Anantho, à la tête de Sok Pa Louang. Depuis 1984, ce dernier fut promu responsable national de la propagande religieuse. Le réseau national de l'Ecole de la Forêt s'étend maintenant sur une quinzaine de monastères, dont cinq dans la région de Vientiane. On observe, de nos jours, que le bouddhisme a repris dans l'ensemble du pays, s'étendant même à certaines minorités naguère animistes.

 

L'étonnante faveur dont le bouddhisme, à l'endroit de l'Ecole de la Forêt, a joui de la part des dirigeants communistes ne peut s'expliquer, à mon sens, que parce que ces derniers y ont reconnu les fondements de l'identité lao: cette représentation harmonique du monde qui, traduite au niveau des attitudes, donne naissance à une inclination particulière pour la paix, est somme toute à la base de toute spiritualité.

 

Mais qu’est-ce que la spiritualité ?

 

Dissipons tout d'abord quelques a priori: d'aucuns pensent que la spiritualité appartient à une sphère lointaine, en dehors du monde réel, appréhensible seulement par certaines personnes, en certains lieux ou milieux. Je pense que c'est une erreur car la spiritualité est inscrite dans le quotidien de tout un chacun. Elle relève d'une qualité de relation que l'on entretient avec les autres et avec soi-même.

 

Par ailleurs, la spiritualité ne peut être confondue avec la morale qui relève d'un système normatif, variable dans l'espace et le temps. Dans le domaine spirituel, le bien et le mal ne constituent que des adjuvants techniques sur le chemin du développement de l'esprit.

 

Enfin, on croit souvent que la spiritualité constitue la quintessence de la religion. Je ne le crois pas non plus. Il semble plutôt, qu'à l'inverse, la religion soit le produit de la rencontre d'un courant spirituel et d'une société donnée.

 

L'ethnologie a mis en évidence, chez certains peuples, au demeurant peu développés matériellement, un système spirituel quasi pur, englobant tous les aspects de la société, y compris les faits et gestes de ses membres. Comme le décrit le beau livre de Marlo Morgan consacré à un groupe d'aborigènes d'Australie3, les croyances sont réduites à celle d'un Tout, identifié à un être suprême, dont chaque être vivant constitue une partie. Et la pratique spirituelle est tout aussi simple. Elle peut se résumer en deux propositions:

- En premier lieu, entretenir un rapport harmonique avec ce Tout en raison d'un lien intrinsèque avec lui. Métaphoriquement, l'individu est dans la situation d'un morceau de puzzle qui, tout unique soit-il, ne peut prendre sens que dans et par l'ensemble qui le contient.

- En second lieu, se garder de juger, ni les autres ni soi-même. Ni les autres, car juger nous fait immédiatement sortir du domaine spirituel et tomber dans celui de la morale; ni soi-même, car le jugement de soi-même (autrement dit la culpabilisation) non seulement nous emprisonne dans un système moral, comme tout jugement, mais encore nous prive de toute possibilité d'évolution spirituelle: c'est une auto-condamnation , au sens fort du terme.

 

Je précise que la non-culpabilisation n' a rien à voir avec la non-responsabilité. Bien au contraire car le non-jugement constitue le garant indispensable pour tirer les leçons du mal accompli et trouver les moyens de l'éviter à l'avenir.

 

La spiritualité lao. Par rapport aux caractéristiques de la spiritualité ci-dessus énoncées, qu'est-ce que le Laos propose ?

 

Tout d'abord, on peut dire qu'il constitue un espace favorable au développement spirituel, tant par son milieu écologique, caractérisé par l'omniprésence de la forêt, que par son milieu culturel, marqué par d'anciennes et riches traditions auxquelles le bouddhisme a su apporter son support. Enfin, le Laos possède une longue tradition d'enseignement spirituel.

 

Je ne m'attarderai pas sur les caractéristiques qui, à mes yeux, font du bouddhisme davantage une voie spirituelle qu'une religion, telles qu'absence de dogmes, absence de morale à proprement parler, enseignement visant essentiellement le non-jugement, condition sine qua non de la bienveillance universelle et de la réduction de la souffrance.

 

Je me contenterai, pour illustrer la vie spirituelle lao, de vous parler de deux aspects qui, pour n'être pas aussi prestigieux que l'enseignement de 1' Ecole de la Forêt, n'en expriment pas

moins une spiritualité tout aussi authentique: l'un est le rite de soukhouan, fréquemment organisé dans la société lao; l'autre, une expression, bo pén gnang, correspondant à une attitude intérieure que les Lao adoptent non moins fréquemment.

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3 M. Morgan. "Message des hommes vrais aux mutants", Albin Michel.

émotion, de la séduction d'une personne ou d'un lieu agréables, ou encore par suite de leur capture par un esprit dangereux. Leur absence est de nature à provoquer troubles, maladies voire mort. Le cas échéant, on organise un rite auquel sont conviés la famille, les amis et les voisins. Un officiant lance un appel vers divers mondes à l'intention des âmes vagabondes, les engageant à revenir sans tarder. Pour les y inciter, on a déposé sur un plateau rond, surmonté d'une pyramide de fleurs, tout ce dont ces petites âmes sont friandes: des œufs, du poulet, du riz, des gâteaux, etc. Lorsque après les appels répétés, celles-ci sont censées avoir réintégré leurs places, l'officiant suivi de l'assistance, les empêche de repartir en attachant des cordonnets de coton blanc aux poignets du patient.

 

Le rite de soukhouan relève d'un contexte chamanistique. Soukhouan signifie littéralement "appel des âmes". Selon une croyance lao, les âmes d'un individu qui, en temps normal, occupent pour la vitaliser, une place spécifique du corps humain, peuvent la quitter sous le coup d'une

 

Outre les cas de maladie, le rite de soukhouan se fait aussi à l'occasion des départs, des arrivées, des mariages et des promotions professionnelles, etc., en bref toute occasion pouvant provoquer le départ des âmes, et elles sont nombreuses au Laos !

 

Sensible à son ambiance conviviale, le visiteur qui assiste pour la première fois à ce rite y verra une charmante manière d'accueillir l'étranger. Un Lao en ressentira, pour sa part, l'impression d'un plein d'énergie au parfum de bonheur. Bonheur d'avoir fusionné, ne serait-ce que quelques instants, avec l'univers.

 

Le sens de 1' expression bo pén gnang a été hélas trop souvent galvaudé en philosophie du laisser-aller, du laisser-faire, ou du fatalisme. C'est ignorer la part d'intériorité qui s’y cache. Bo pén gnang signifie littéralement "ce n'est rien", entendez "ce n'est pas une réalité". Cette expression, qui est employée indistinctement à 1' occasion d'un petit dérangement, d'une gêne, d'un accident ou d'un malheur que l'on subit, ne peut se comprendre qu'en fonction du souci permanent qu'ont les Lao de préserver l'harmonie cosmique. Bo pén gnang signifie que l’événement qui survient n’a qu'une réalité conjoncturelle, qu'il ne relève pas du domaine substantiel. Par un dépassement intérieur, le Lao fait fi de la réalité pour maintenir l'harmonie, lorsque celle-ci menace de se rompre. Il crée le vide pour contenir le plein. Cette attitude correspond à la signification, qu'en Chine, on donne à une représentation d'un bodhisatva ventru: c'est pour ensevelir toutes les souffrances du monde qu'il grossit son abdomen.

 

Les étrangers apprécient souvent les Lao pour leur caractère avenant et pour leur "bonne nature". Rares sont ceux qui savent que ce caractère avenant et cette "bonne nature" sont le prix d'un sacrifice intérieur, le sacrifice du non-jugement, dont la patience, la tolérance et l'amour de la paix sont les traductions extérieures. Comme la cérémonie du thé et le tir à l'arc au Japon, le rite de soukhouan et l'attitude de bo pén gnang sont, au Laos, les véhicules historiques de l'héritage spirituel national.

 

3. En guise de conclusion: l'apport du Laos à l' ASEAN et au monde moderne

 

Apres une mouvance septentrionale de trois décennies, le Laos est entré dans 1' ASEAN, comme nous venons de le voir, conformément à un mouvement pendulaire historique qui remonte à plus de deux mille ans.

 

A la différence du passé, le mouvement s'effectue cette fois sous les yeux de la communauté internationale et dans une conjoncture particulière où celle-ci est directement intéressée et impliquée dans le développement de la zone Asie-Pacifique.

 

Nous avons vu comment, de par sa situation géographique et ses traditions spirituelles, le Laos pouvait appréciablement contribuer à la stabilisation de la région. A condition bien sûr que son entrée dans 1' ASEAN n'en fasse pas la nième société de consommation; à condition que l'on sache respecter et exploiter ses potentialités stabilisatrices. Un message spirituel est un bien précieux en soi, mais s'il a imprégné une civilisation pendant des siècles lui donnant tout son sens jusqu'à nos jours, cela n'a pas de prix.

 

Le signal d'alarme que constitue la crise monétaire que traverse actuellement les "petits dragons" de 1' Asie du Sud-Est vient souligner le dilemme suivant: parmi les pays de l'ASEAN, le Laos, nouvel arrivé, est le moins favorisé car le moins moderne, le moins développé économiquement. Mais en cas de crise, n'est-il pas le moins vulnérable de tous car le moins engagé dans 1' économie de marché ?

 

Ce dilemme interroge par ailleurs la communauté internationale, notamment l'Occident auquel revient la paternité de ce type de mode de production et de société. La contre-épreuve laotienne, à défaut de constituer une solution, a néanmoins le mérite de réactualiser des questions fondamentales: le consumérisme est-il l'issue inéluctable du développement ? N'y a-t-il pas d'autres voies qui, tout en conservant les acquis matériels, pourraient à la fois échapper à l'engrenage de la consommation et offrir à nos concitoyens une vie décente et épanouissante ?

 

La résolution de ces problèmes, à mon sens, devra intégrer le paramètre spirituel tel que j'ai essayé de le définir. Car en l'absence de spiritualité, les nobles idéaux qui fondent la démocratie ne peuvent que se réduire à la morale: il y a contradiction à se vouloir non-raciste et condamner dans le même temps le racisme. Dans les deux cas, il y a acte d'exclusion, de jugement. Et le beau projet de société égalitaire et fraternelle restera un éternel idéal.

 

Et pour en revenir au Laos et finir, je voudrais vous quitter sur une image que je vous convie à méditer. Il s'agit de deux photos illustrant un article consacré à une équipe de déminage opérant dans la Plaine des Jarres, publié dans un journal anglais, en mai dernier. La première montrait le spécialiste occidental en combinaison de travail, affairé, préoccupé même; la seconde, une petite fille de six-sept ans, en jupe traditionnelle, souriante et naturelle comme savent l'être les enfants lao: elle posait, debout, devant un obus de B 52.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

 

 

LAOTIENS D'OUTRE-MER: RESERVOIR DE ~

RESSOURCES HUMAINES POUR LE DEVELOPPEMENT

 

par YANG DAO,

Maître de conférence à l'Université de Hameline et de Metropolitan State en anthropologie de l'Asie du Sud-Est

 

Je suis revenu dans la capitale française non pour évoquer le passé tragique du peuple laotien, aujourd'hui dispersé à travers le monde, mais pour vous parler des Laotiens d'outre-mer qui pourraient constituer dans les années à venir un véritable réservoir de ressources humaines pour le développement.

 

Dans cet exposé, je dois me limiter cependant aux réfugiés Lao, Hmong, Khmou et Mien du Laos qui ont émigré aux Etats-Unis depuis 1975. Afin de vous permettre de suivre le déroulement de mes idées, je me permets de vous rappeler la géographie humaine du Laos qui a, pour ainsi dire, peu changé depuis vingt-deux ans.

 

Situé au cœur de l'Asie du sud-est, le Laos a été de tout temps une plaque tournante des migrations venues du Sud de la Chine qui, au long des siècles, ont modelé le visage actuel du pays. Le peuple laotien d'aujourd'hui est ainsi formé de près de cinquante groupes ethniques parlant des langues et dialectes différents et pratiquant des us et coutumes diverses. Si l'ethnie Lao qui a donné son nom au Laos est la composante dominante, les Hmong, les Khmu, les Mien et une multitude d'autres minorités constituent près de la moitié de la population laotienne. Ces différents groupes ethniques sont officiellement classés en trois catégories: Les Laoloum ou Laotiens des plaines, les Laotheung ou Laotiens des moyennes altitudes et les Laosoung ou Laotiens des sommets de montagnes.

 

Si les Laoloum ou Laotiens des plaines, notamment ceux des zones urbaines, ont joui depuis longtemps d'une situation privilégiée qui leur a donné l'accès à l'éducation, à la connaissance des sciences et des techniques et à l'acquisition des moyens modernes leur permettant une transformation profonde, à la fois intellectuelle et matérielle, les Laotheung et les Laosoung, quant à eux, continuent à pratiquer une existence traditionnelle et ancestrale, fondée sur un enseignement empirique qui se transmet oralement d'une génération à l'autre. Exploités par les uns et négligés par les autres des siècles durant, ces minorités ethniques ont toujours vécu en marge des sociétés dominantes, qu'elles fussent chinoise, française ou lao, sans jamais pouvoir s'y intégrer réellement. Il est vrai que sur leurs montagnes, les routes n'existaient pas, les hôpitaux étaient absents et les écoles se faisaient rares, ce qui traduisait bien la marginalité certains diraient la mise à l'écart - qu'ils subissaient.

 

Il n'est donc pas surprenant que des anciens administrateurs de l'Indochine française ou des voyageurs occidentaux ont, Propos des peuples montagnards, parlé de pauvreté généralisée et d'une ignorance systématique. En 1966, un de ces anciens administrateurs n'en croyait pas ses oreilles lorsqu'on l'avait informé de la présence d'un étudiant "Meo" à l'université de Paris. Et trente et un ans plus tard, le sort en a décidé que ce même ancien étudiant "Meo" s'adresse, en ce moment même, à un groupe de personnalités éminentes de la communauté internationale, sur la tribune qui est aussi pour le monde entier un emblème de liberté et de démocratie.

 

La situation économique et sociale actuelle du Laos, que les experts des NationsUnies ont classé parmi les pays les plus pauvres du globe, résulte essentiellement de la sous-estimation des ressources humaines que constituent ces minorités ethniques qui représentent, rappelons-le encore une fois, près de 50% de la population totale du pays. Elle est aussi l'effet d'une mauvaise utilisation de la masse paysanne des plaines et des vallées qui, en général, vit de l'autosubsistance Enfin, elle est le produit d'une longue guerre fratricide, meurtrière et dévastatrice, et la conséquence directe du départ de milliers de cadres et de techniciens, envoyés dans les camps de rééducation politique ou expatriés volontaires dans les cinq continents du globe, après le bouleversement politique de 1975.

 

Le sous-développement du Laos d'aujourd'hui se caractérise par une pénurie du personnel qualifié, par un déficit de la balance de paiement qui s'élevait en 1996 à 14 % par rapport au produit national brut, et par une dépendance croissante pour l'assistance économique étrangère. Selon des rapports récents des Nations-Unies, environ 46 % de la population laotienne vit actuellement au-dessous du seuil de pauvreté. Le revenu annuel per capita ne dépasse guère 380 US dollars. Si certains dirigeants du pays jouissent d'une vie honorable, les fonctionnaires de l’état gagnent généralement un salaire de misère qui représente environ 50 US dollars par mois. Beaucoup de ces fonctionnaires, notamment les instituteurs, passent leur journée entre l'école et le jardin familial pour pouvoir survivre, entraînant ainsi une dégradation de l'éducation nationale. Les paysans laotiens et, plus particulièrement, les minorités ethniques qui pratiquent largement l'agriculture de subsistance, en ont le plus souffert. En effet, soumise aux intempéries du climat, leur production agricole est souvent aléatoire. On se souvient encore des graves inondations de 1996 qui ont précipité l'économie laotienne, fondée essentiellement sur le secteur primaire, vers la catastrophe. Cette pénurie alimentaire entraîne, par conséquent, une malnutrition chronique qui rend les personnes âgées, les jeunes mères et surtout les enfants en bas âge extrêmement vulnérables aux maladies tropicales contre lesquelles ils n'ont généralement aucun recours en terme de médecine moderne. D'où une mortalité infantile très élevée de 115 pour mille dans les plaines à 147 pour mille sur les montagnes et une espérance de vie relativement courte.

 

Le Laos se trouve donc face à un dilemme : préserver le statut quo et demeurer pauvre parmi les plus démunis du monde ou entamer un changement résolu et s'élever au rang des nations prospères. Il est ainsi encourageant de savoir que, depuis l'établissement de la République Démocratique du Peuple Lao en Décembre 1975, le gouvernement laotien, par son représentant ; officiel à la Sixième Réunion de la Table Ronde de Genève de Juin 1997, a lancé le plus grand défi de son existence en promettant d'éradiquer la pauvreté et de sortir, pour l'an 2020, la nation laotienne du statut des pays sous-développés.

 

Nous louons l'aspiration légitime et les efforts du gouvernement actuel de Vientiane. Mais on n'a jamais assez insisté sur le fait que le développement économique et social du Laos ne peut réellement démarrer que si ses dirigeants mobilisent toutes les ressources disponibles pour développer le pays. Autrement dit, la collaboration et la participation effectives et massives des Laotiens, toutes ethnies confondues, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, constituent la condition sine qua none de la réalisation d'un tel objectif. A cet effet, les Laotiens d'outre-mer peuvent fournir une réponse.

 

Comme je l'ai déjà dit, depuis 1975, plus de 450.000 Laotiens des plaines et des montagnes ont quitté leur pays pour l'Europe, l’Australie et l'Amérique. Plus des trois quarts d'entre eux ont émigré aux Etats-Unis et c est sur cette portion de la population laotienne que je vais, ici, insister.

 

En vingt-deux ans (1975 - 1997), la communauté laotienne aux Etats-Unis a presque doublé. En effet, grâce à la médecine moderne et à l'amélioration du régime alimentaire, son taux de mortalité infantile a chuté considérablement pour connaître une croissance démographique des plus vertigineuses. Estimée à environ 445.000, sa répartition ethnique peut être établie de la façon suivante :

 

• Ethnie Lao 210.000

• Ethnie Hmong 200.000

• Ethnie Mien 25.000

• Ethnie Khmu 5.000

• Autres 5.000

 

Ils vivent dispersés à travers les Etats-Unis avec de grosses concentrations dans les Etats de Californie, Minnesota, Texas, Wisconsin, Illinois, etc.... Pour vivre et subvenir aux besoins de leur famille généralement nombreuse, la majorité d'entre eux travaillent dans les usines américaines qui les forment à la tâche à devenir des ouvriers spécialisés. Certains d'entre eux, souvent d'anciens montagnards, se sont lancés, comme en Caroline du Nord, dans l'élevage de volailles avec des équipements modernes sophistiqués, ou, comme en Californie, dans la culture fruitière et maraîchère destinée aux marchés américains et canadiens. Beaucoup d'entre eux ont également monté leurs propres boutiques de produits alimentaires exotiques, leurs entreprises de vente et service d'ordinateurs ou d'automobiles. D'autres ont mis leurs économies en commun pour ouvrir une chaîne de restaurants, comme dans l’état de Michigan. D'autres encore établissent leurs propres services financiers ou immobiliers. Aujourd'hui, on voit un nombre croissant de réfugiés du Laos possédant leur propre maison. Chaque famille dispose d'une ou plusieurs voitures. En effet, il n'est pas du tout surprenant de rencontrer une femme Hmong, Mien ou Khmu qui, au Laos, n'était jamais descendue de ses montagnes, se trouver au volant de sa Toyota dans les rues de Chicago ou de Los Angeles.

 

Cependant, la plus spectaculaire évolution des réfugiés du Laos aux Etats-Unis réside dans l'éducation. Faute d'une recherche exhaustive, je me contenterais seulement de vous parler des quatre principaux groupes ethniques laotiens.

 

En l'espace d'une période relativement courte, dans la communauté des réfugiés Khmu, quatre étudiants ont reçu la maîtrise et huit étudiants leur licence universitaire. La communauté Mien a aujourd'hui cinq étudiants pourvu d'une maîtrise et 56 étudiants d'une licence universitaire. Avant 1975, il n'y avait pas une seule personne au sein de ces deux minorités qui avait obtenu le Baccalauréat français au Laos. La communauté Lao qui, comme vous le savez, s'inscrit dans une culture de tradition écrite, a produit, elle, plus de dix docteurs universitaires, environ deux cents lauréats de maîtrise et de 800 à1.000 Licenciés universitaires. Enfin, la communauté Hmong ou " Mèo ", quant à elle, a connu un succès sans précédent depuis le début de son histoire dans le domaine de l'éducation : 85 docteurs universitaires dont 17 femmes, 270 maîtrises universitaires et environ 2.500 licenciés universitaires depuis que les réfugiés Hmong se sont installés aux Etats-Unis en 1975. Environ 150 autres jeunes Hmong préparent actuellement leur diplôme de doctorat dans les diverses universités américaines. C'est un prodigieux progrès quand on pense que, en 1939, il y avait seulement 9 élèves Hmong dans l'enseignement élémentaire pour tout le Laos. Aujourd'hui, on rencontre, en Amérique, des Laotiens de diverses ethnies devenant ingénieurs, avocats, pharmaciens, dentistes, docteurs en médecine, professeurs d'université, proviseurs de Lycée, directeurs de l'enseignement scolaire, P.D.G. de société ou membres des comités d'administration des écoles publiques ou des conseils municipaux.

 

A ces ressources humaines laotiennes de haute qualification professionnelle, il faut ajouter des milliers d'autres qui ont été formés en Europe, en Australie ou au Canada. La patrie laotienne n'a, pour ainsi dire, jamais disposé d'autant d'enfants à l'étranger d'une telle capacité intellectuelle et technique. Ces enfants, qu'ils soient Lao, Hmong, Khmou ou Mien, ont toujours gardé au plus profond de leur cœur une réelle affection pour le Laos. Loin de la terre natale, beaucoup d'entre eux rêvent et espèrent pouvoir apporter, un jour, leur contribution et leur participation au développement des frères et des sœurs qu'ils ont laissés derrière eux, mais aussi de leur groupe ethnique qui continue à lutter désespérément contre l'ignorance et la pauvreté, et enfin du pays de leurs ancêtres qui combat depuis toujours pour une position plus équitable au sein de la communauté internationale.

 

Les difficultés de développement économique et social du Laos sont réelles et quotidiennes. Ce pays ne manque pas seulement de moyens financiers et de techniques modernes, mais aussi et surtout de ressources humaines qualifiées. L'assistance étrangère peut, certes, jouer un rôle crucial dans le développement national laotien; mais elle ne peut apporter des solutions à tous les problèmes qui s'imposent. Un technicien de développement n'est pas seulement quelqu'un qui sait lire les données statistiques, dresser des plans ou faire des projections. Il doit être aussi un homme ou une femme susceptible de pénétrer l'âme et l'esprit du peuple multi-ethnique du Laos, capable de concevoir des projets adaptés aux besoins de ses communautés locales et, finalement de soulever l'enthousiasme et susciter la participation de sa population à la réalisation de ces projets. Or, il semble que seuls les techniciens ressortissants du Laos ou d'origine laotienne, qu'ils soient à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, puissent remplir ces conditions à la fois techniques et culturelles imposées par toute politique réaliste de développement intégré. Les jeunes ingénieurs, médecins, professeurs d'université, ou techniciens Lao, Hmong, Khmou, Mien, Thai-Dam, Lu, La-Hou ou Iko qui ont été formés par milliers, pendant ces vingt deux ans d exil, peuvent apporter une réponse définitive et déterminante aux problèmes de sous-développement du Laos .

 

Bien qu'ils soient expatriés volontaires, ils continuent à parler et développer leurs langues respectives, à préserver et perpétuer leurs cultures et traditions millénaires, et à conserver et à pratiquer les valeurs morales de leurs ancêtres. Pour s'en convaincre, il suffit d'assister aux fêtes du Chiang ou du Nouvel-An Hmong à Saint Paul, au Minnesota, ou à Fresno, en Californie, qui chaque année, aux mois de Novembre et Décembre, attirent plus de quinze mille participants Hmong portant, pour cette occasion, leurs lourds colliers d'argent et vêtus de leurs costumes multicolores.

 

Le temps de la " Guerre Froide " est belle et bien révolu. La visite récente du Président chinois Jiang Zemin aux Etats-Unis en a été une illustration. Beaucoup de peuples et nations ont tiré la leçon du passé. Une vaste coopération économique s'est établie aujourd'hui entre les ennemis d'hier qui ont trouvé un plus grand intérêt à collaborer et à œuvrer pour la paix. L'adhésion du Laos à l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, au mois de juillet dernier, semble marquer un tournant pour le pays et un défi pour son intégration régionale. Son développement économique et social relève essentiellement de la solidarité nationale qui nécessite une politique de dialogue et d'ouverture, fondée sur un esprit de réconciliation et de coopération entre Laotiens, toutes ethnies confondues, de toutes tendances politiques. Cet œcuménisme repose également sur des régularisations juridiques favorisant le retour des expatriés laotiens et assurant leur sécurité physique et morale ainsi que leur intégration au sein de la nouvelle communauté nationale laotienne. Pour accélérer le processus de développement du Laos, il est indispensable de créer un cadre légal de travail sollicitant les investissements privés nationaux et internationaux, et encourageant les organisations non-gouvernementales locales à participer effectivement aux services sociaux comme à la direction de la gestion de l'économie et des finances. Enfin, l'édification nationale du pays implique une politique réaliste consistant à cristalliser toutes les particularités ethniques et régionales en une véritable force nationale, tout en garantissant le respect des cultures et des traditions propres aux groupes ethniques. Il s'agit, enfin, d'assurer la justice à tous dans le domaine économique aussi bien que dans la promotion sociale et politique.

 

Je pense fermement que la stabilité politique et le développement économique et social du Laos contribueront aussi, de par sa situation géographique et stratégique, à la prospérité et au maintien de la paix en Asie du Sud-Est et dans le monde. C'est sur ce sentiment de confiance que je voudrais conclure mon exposé en vous remerciant de m'avoir donné l'opportunité de parler de mon pays, de ses difficultés mais aussi de ses espoirs.

 

 

Débats de la première partie

 

Question de Georges Bensahid, économiste universitaire :

Premièrement je m'adresserais à M. Yang Dao à propos d'un problème que nous connaissons assez bien en France et qui s'appelle le problème des Algériens. Que peuvent faire pour le Laos les Laotiens, dont vous avez parlé, qui ont fait des efforts considérables aux Etats-Unis, par des envois de fonds ? Dans le cas de l'Algérie, ces envois sont de moins en moins importants car les Algériens ont créé des familles en France. En est-il de même pour le Laos ? Et quelle est, compte tenu de l'élévation technique, les diplômes, qu'ils ont acquis aux Etats-Unis, la probabilité qu'ils soient assez motivés pour essayer d'aider le Laos à sortir de l'ornière ?

Deuxième question, qui s'adresse à M. Amphay Doré ou peut-être à d'autres conférenciers. Est-il possible, de manière même sommaire, de comparer la situation du Laos et celle de la Chine  quant à ce que l'on appelle l'économie socialiste de marché ? C'est un concept, je ne dirais pas creux, mais passablement flou, et qui du point de vue tout simplement des termes pose en France une contradiction. En effet, économie de marché, économie libérale, économie capitaliste sont souvent des concepts utilisés comme synonymes dans les écrits français, et même anglo-saxons. D'où le concept d'économie socialiste de marché qui paraît confus. Au Laos en est-il de même qu'en Chine, et notamment sous l'angle d'un aspect assez simple, c'est celui, concernant la Chine, des privatisations récentes d'entreprises publiques de grande taille avec pour objectif de réduire leur déficit qui était à la charge de l'Etat par une réduction du nombre de salariés. Qu'en est-il de l'économie socialiste de cette réduction de main-d'œuvre?

Réponse par le docteur Yang Dao :

Je vais répondre à votre première question. Les Laotiens aux Etats-Unis ont fait des progrès énormes en termes d'éducation. Que peuvent faire les Laotiens aux Etats-Unis pour le Laos? Je pense que les réfugiés laotiens, aux Etats-Unis comme en France, peuvent faire énormément pour le Laos. D'abord dans l'enseignement. Nous savons qu'en ce moment, le Laos manque cruellement de personnel enseignant spécialisé ou professionnel qualifié. Les réfugiés expatriés peuvent par exemple contribuer à améliorer le niveau de l'enseignement au Laos, notamment, dans les mathématiques, la physique, les sciences humaines et les langues étrangères. Deuxièmement, les Laotiens vivant aux Etats-Unis peuvent apporter une aide financière aux petits projets agricoles ou économiques de leurs villages. Troisièmement, nous savons qu'au Laos, la mortalité infantile est très élevée, en raison du manque de médecins et d'agents sanitaires. Je pense que les médecins laotiens formés aux Etats-Unis peuvent faire quelque chose.

Il y a actuellement 21 jeunes Hmongs qui ont reçu leur doctorat de droit, 20 qui ont reçu le doctorat de médecine, 15 qui ont reçu le doctorat de pharmacie, 11 Ph.D , 5 dentistes, 5 docteurs en éducation, 3 docteurs en kinésithérapie, 3 docteurs en théologie, etc. Ces gens peuvent contribuer énormément à l'amélioration de la santé et des conditions sociales et économiques du Laos. Il y a une condition: il est nécessaire qu'il y ait un cadre légal de travail pour garantir la sécurité morale et physique de ces gens. Et je pense qu'actuellement le Laos se dirige vers cette voie.

Réponse de Marc Dufumier :

Je connais assez peu la Chine, mais j'ai eu l'occasion d'y travailler aussi. On peut, je crois, qualifier ça de capitalisme sauvage. On démarre sur une société à base très égalitaire, donc les phénomènes propres à ce capitalisme sauvage ne sont pas extraordinairement graves, même s'il y a des traces dans une urbanisation anarchique et un exode rural non contrôlé, pour les régions que je connais, dont font partie les plus pauvres. Il est clair que ce que l'on appelle développement en Chine est aussi le sous-développement de ces régions-là. Je pense donc que l'expression  économie socialiste de marché n'est qu'une apparence. Enfin, je ne suis pas sûr de le comprendre, mais la réalité est bien celle-là

Et là, pour ce qui est du Laos, je ne me prononce pas. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que dans la rhétorique officielle on utilise vraiment ces termes autant qu'on parle de nouveaux mécanismes économiques qui sont effectivement une ouverture du Laos à l'économie de marché. De toutes façons, la question n'est pas le mot. Il s'agit de savoir si c'est vers cela que pourrait s'orienter le Laos. C'est une question.

 

Intervention de Guy Schulders, Université de Paris I :

Mon intervention va dans le sens de ce qu'a dit M. Marc Dufumier. J'ai été très sensible à ce qu'il a dit, mais il s'agit en fait de la recherche d'un modèle de développement ou du sens de développement pour le Laos. Or, je remarque que le développement s'inscrit tout d'abord dans le temps. Et le temps, pour le Laos est balisé par deux étapes fondamentales qui devraient remettre en cause toute sa vie économique. C'est d'une part il y a quelques mois son entrée dans l'ASEAN, et d'autre part dans moins de dix ans l'application de l'A FTA.

L'entrée dans l'ASEAN nous amène à jeter un nouveau regard sur la carte géographique de la région. Voilà que ce Laos, qui n'a pas 5 millions d'habitants se trouve dans une zone qui en aura bientôt 500 millions. Or, le Laos et les autres pays de l'ASEAN du nord jouxtent une région dont a parlé M. Amphay Doré qui est le Yunnan, le Quan Xi, et le Quan Jang, qui est une région de Chine qui maintenant se développe très rapidement et qui a de très grands besoins en énergie. Par capilarité, les membres de la diaspora chinoise qui sont au sud de l'ASEAN tentent d'intervenir de plus en plus vers cette partie de la Chine et le feront de plus en plus. Si bien qu'on s'aperçoit que le Laos se trouvera à un endroit où circuleront de très nombreux éléments de richesse, qui iront du nord au sud, ou du sud vers le nord, et pour lesquels les Laotiens seront amenés à lancer un aménagement du territoire qui tiendra compte de ces nouvelles donnes. Les nouvelles donnes sont les nouveaux mécanismes de marché. Elles nous amènent à nous demander quel rôle géopolitique le Laos va jouer dans cette nouvelle carte.

Et dans dix ans, il y aura l'application de l'A FTA, c'est-à-dire supprimer ou ramener en dessous de 5% la totalité des tarifs douaniers perçus actuellement. Ceci va tout changer dans les prix, dans les coûts et dans les orientations productives de cette région. Le Laos devra faire le bon choix, c'est-à-dire choisir les produits qui seront demandés en fonction des nouveaux coûts car les tarifs ne pourront pas à ce moment-là être " bricolés ". J'ajoute que l'ASEAN n'a pas prévu de tarif extérieur commun. Je ne sais pas si c'est un avantage ou un inconvénient. Mais cela signifie que le Laos pourra faire vis-à-vis de la Chine le tarif qu'il voudra. Il est clair qu'il y aura une nouvelle définition de la zone, de nouveaux rapports de forces économiques et l'énergie est au centre du développement de la région, y compris des trois provinces du sud de la Chine. C'est donc par là que je vois le sens du développement laotien --à terme, bien entendu.

Docteur Khamsing Phothirath

Je ne suis ni universitaire ni spécialiste en quoi que ce soit. Je suis simplement laotien, réfugié depuis 1975. Je me réjouis aujourd'hui que l'on parle du Laos. Le Laos qui tend à être connu, on ne peut pas dire autrement aujourd'hui, et tout le monde s'en félicite. Je suis venu de loin parce que dans le programme, on parle de " renaissance spirituelle du Laos à l'ère de l'ASEAN".

Notre ami Amphay Doré a développé le sujet de façon très spirituelle et très sophistiquée. Il a bien raison de parler de renaissance spirituelle, et de faire la distinction entre spiritualité et religion. En tant que laotiens nous sommes très attachés au bouddhisme. Je me présente un peu comme porte-parole des réfugiés laotiens ici.

Il ne faut pas confondre renaissance spirituelle et renaissance de la religion au Laos, soit une tolérance et une acceptation de la religion par le gouvernement actuel, même si Amphay Doré a parlé de l'Ecole de la Forêt. En effet, j'ai eu depuis l'ouverture du Laos, l'occasion de revenir au pays. Et j'ai constaté qu'à présent les pagodes appartiennent à l'Etat, et qu'on les visite comme des musées, moyennant kips ou dollars. Seule la cour de la pagode appartient au bonze, le temple étant la propriété de l'Etat. Certains me diront que les pagodes ont tout de même été rénovées. S'il reste encore des bonzes, c'est que les Laotiens sont foncièrement religieux. Ils ont la foi. Seulement, dans la pagode, ils ont le droit de porter la robe jaune, mais pas d'apprendre la religion. A la pagode sont maintenant enseignés des programmes laïques, telles les mathématiques, la géographie, etc., mais pas de religion. Cela est très grave pour les Laotiens. Et dans quelques années, restera-t-il des bonzes pour dire des sermons ou des prières?

Intervention du Dr Sithouy, journaliste

Dr Yang Dao, vous avez bien dit qu'il y avait des Laotiens à travers le monde, fils et filles des réfugiés pourchassés par le régime de Vientiane actuel, qui constituaient des ressources énormes pour le Laos, sur lesquelles il fallait compter. Vous avez dit qu'il y avait des centaines de milliers de Laotiens à travers le monde, mais vous n'avez jamais dit qu'ils étaient pourchassés par le régime encore en place. Celui-ci va organiser des élections législatives, mais c'est un régime de parti unique. Vous avez dit qu'il fallait créer un environnement légal propice pour que ces réfugiés reviennent au pays. Pourquoi ne pas avoir le courage de dire qu'il faut changer ce régime, car personne n'en veut ? Je voudrais ajouter qu'actuellement vous avez tous ménagé le régime actuel. Et je voudrais vous dire, ayant été aux Etats-Unis pendant plusieurs années, ne comptez pas trop sur ces fils et filles de Laotiens pour revenir au Laos et appuyer la force de développement, pour un régime qui n'a pas encore changé.

Question de Kingchampa S. Rajphak

Je voudrais savoir sous quelle bannière vous vous êtes présentés aujourd'hui pour parler.

Deuxième question : quelle est la situation actuelle au Laos ? C'est ce que je veux savoir. Ça fait deux heures que l'on discute et que l'on se fait des éloges, je n'en vois pas le but. Et s'il y a, comme vous l'avez dit, des Américains d'origine laotienne qui sont bardés de diplômes, que peuvent-ils bien faire au Laos avec leurs diplômes? Je ne comprends pas. Je crois que l'on passe à côté du vrai problème.

Puisque l'on parle librement ici, pourrions-nous savoir si vous représentez le gouvernement actuel au Laos?

Question de Simala Lifoung

Je voudrais compléter la question du Monsieur précédent, par deux questions. La première, j'aurais voulu la poser à une personne représentante du gouvernement laotien. J'aurais voulu savoir à quel stade de maturité sont les acteurs économiques et politiques du Laos. Parce qu'on parle de l'avenir du Laos, des procédures et des méthodes qui pourraient convenir au Laos, mais le Laos a-t-il besoin de notre aide ? Et si par exemple les ressources humaines extérieures étaient prêtes à s'investir au Laos, est-ce que le pays même est prêt à nous recevoir ?

Réponse de Chansamone Voravong

A la question de savoir sous quelle bannière nous parlons, je répondrai que ce serait --si bannière il y avait-- sous celle de " Démocraties ", club de réflexions politiques. (Entendons par politique tout ce qui concerne la vie quotidienne des gens). En fait il n'y a pas de bannière. Personne à cette table ne représente le gouvernement laotien, ou un quelconque gouvernement ou parti politique. Les idées qu'expriment les intervenants n'engagent qu'eux-mêmes.

Le but de ce colloque --la session de cet après-midi en particulier--, est de nous donner l'occasion de discuter et de réfléchir ensemble, les expériences et les arguments des personnes compétentes à cette table à l'appui, sur le problème du développement du Laos. Dans cette ambiance conviviale et cordiale, "Démocraties" espère que nous connaîtrons mieux la réalité des faits et verrons les problèmes qui nous intéressent avec plus de clarté. Il n'y a pas d'intérêts à défendre ni de résolutions à formuler. C'est à chacun de décider, en toute objectivité, de ce qu'il veut faire et comment il veut le faire.

A la question que Simala voulait adresser à un représentant du Gouvernement laotien, nous sommes désolés de ne pouvoir vous donner satisfaction. Par contre, nous savons que le Laos a cruellement besoin de ressources humaines. A-t-il besoin que les Laotiens d'outre-mer l'aident? Posée de cette façon, la question est trop subjective pour obtenir une vraie réponse. Pour cela, il faudrait un travail préalable pour rassembler un certain nombre de données concrètes. Pour l'instant, essayons de voir avec les experts qui ont la connaissance du Laos, qui ont des projets là-bas, si celui-ci dispose des facteurs favorables pour espérer un certain développement et arriver à une relative autonomie.

Question de M. Thanadabouth, journaliste de Radio France Internationale Section Lao

Ma première question est destinée à M. Marc Dufumier, trois quarts des projets de développement du Laos sont orientés vers le domaine hydroélectrique dont le projet le plus controversé à l'heure actuelle est le projet de barrage hydroélectrique de Nam Theun 2, un projet évalué à 1,5 milliard de dollars, qui sera subventionné à 30% par l'EDF. Pour le gouvernement lao, ce projet constitue la meilleure solution au problème de pauvreté du pays. Mais pour certaines organisations écologistes, les projets hydroélectriques au Laos, dont celui cité, constituent une catastrophe économique, écologique et sociale. Quels sont vos commentaires sur le sujet ?

Réponse de M. Marc Dufumier

Je n'ai pas tous les éléments du dossier sur le barrage Nam Theun 2 en tête. Mais je rejoins l'idée qui été émise tout à l'heure, à savoir que le Laos ouvert à l'économie de marché international présente de réels avantages comparatifs en ce qui concerne ses ressources hydroélectriques. Je crois que c'est à prendre en considération. Je veux dire que cette ressource dont peut disposer le Laos peut être à l'origine de dégâts écologiques à court terme dans la zone du lac du barrage et à proximité, mais peut être, s'il y a un bon usage de cette hydroélectricité, beaucoup moins dangereuse, écologiquement parlant, que certains déplacements de populations dans des régions qui n'ont rien à voir avec le barrage, avec certaines formes d'exploitations forestières qui commencent à exister, et qui ont déjà en Birmane et au Cambodge des conséquences dramatiques. Je serais pour ma part très prudent sur le fait d'attaquer ce barrage comme une façon de ne pas regarder d'autres problèmes. Ces autres problèmes ne sont pas de ma part une accusation contre quiconque, ni contre le gouvernement lao. Je suis par contre d'une extrême prudence sur les effets de certaines mesures de politique agricole qui sont peut-être en voie de s'infléchir, qui consistent à vouloir parfois spécialiser des villages par culture, à vouloir déplacer des populations en bords de route, sous prétexte que les bords de routes sont toujours en fond de vallée, ce qui n'est pas toujours prouvé, et ce genre de choses. Je crois que toute l'attention nationale et les organisations écologistes pour lesquelles je pourrais par ailleurs avoir beaucoup de sympathie, se centrent sur ce problème alors qu'il pourrait y en avoir bien d'autres.

Parallèlement, j'en profite pour répondre à l'intervention qu'il y a eu tout à l'heure. Je crois qu'il nous faut envisager cette intégration à l'économie de marché en faisant tout de même très attention que l'agriculture ne soit pas laminée, comme il arrive souvent dans les régions montagneuses isolées, quand elles sont intégrées aux échanges marchands. La Creuse est désertifiée en France, les régions sahélo-soudaniennes exportent leur main-d'œuvre à l'étranger. Je ne doute pas qu'on puisse dire qu'une certaine main-d'œuvre exportée aux Etats-Unis à acquis aujourd'hui un enseignement. Mais l'économie de marché brutale dans un pays qui a quand même beaucoup de désavantages comparatifs, risque fort de faire à terme émigrer sa main-d'œuvre, pour des raisons qui n'auraient plus rien à voir avec la politique. On le voit dans des quantités de pays. Il y a des migrations à l'échelle internationale, qui font que les pays qui sont en général dans des positions montagneuses et isolées voient leur population condamnée à partir. Je crois, et il ne s'agit pas seulement de recherche, qu'il y a déjà en germe dans les pratiques paysannes actuelles (comme j'ai cité en exemple tout à l'heure) des productions agricoles à haute valeur ajoutée dans un faible volume. Ainsi, bien qu'une région soit isolée sur le marché mondial, elle pourrait produire des produits de luxe, qui devraient être labélisés. Il y a aussi une place pour l'intervention de l'Etat pour promouvoir ce genre de production. Je pense par exemple à la cardamome médicinale. Pensez qu'il y a en Chine des régions qui étaient tout aussi boisées que l'est le nord Laos. Il y a des populations qui sont habituées à consommer des produits qui existaient autrefois dans la forêt, et qui sont demandeuses des produits lao. Les cardamomes médicinales peuvent être parfaitement domestiquées dans le nord Laos, puisque le marché existe en Chine. N'oublions donc pas, par rapport au développement écologique, le développement d'une agriculture qui pourrait permettre aux gens de vivre sur place, sans perdre son identité ni son savoir-faire, et qui soit quand même du développement, et pas seulement du conservationnisme.

 

 

Les termes de l'échange au Laos, entre identité et intégration

 

par M. Yves NOUGUEREDE, Président de Mékong 2000

 

 

 

Chacun sait que les bouleversements intervenus durant les dix dernières années dans l'ordre géopolitique (passer d'un système bipolaire à un système unipolaire dominant ) et dans celui de la communication, qui a substitué la licence à la proximité et l'immédiateté, le temps réel, à la durée et à l'attente, ont conduit à une accélération et à un durcissement des mécanismes de marché. Pour utiliser une expression quelque peu triviale, on a bien noté que lorsqu'un pays souffrait d'un gros rhume tous les autres se mettaient à tousser, y compris les plus grands.

Les hypermarchés, partout présents, ne répondent pas à toute la demande sociale. Sans qu'on l'ait délibérément choisi, ils s'imposent néanmoins sinon comme la règle , du moins comme la clé d'accès à l'échange et aux relations internationales quels que soient les types d'économies nationales : libérale, socialiste ou mixte. Intégré sur la base d'une référence universelle au profit et à la performance, le marché bouscule de ses effets transversaux, un ordre décalé, les sociabilités dans le temps et les termes de l'échange entre les nations, tout en faisant bon marché de la question d'interculturalité, ressentie comme un frein à sa marche. La culture au quotidien n'a pas connu de changements aussi fulgurants, en raison de son lien aux mentalités moins réceptives aux remises en cause continues, ressenties comme traumatisantes. Déjà, un certain état des savoirs, ségrégationniste par nature, prévaut sur l'état de droit, sur les états de valeurs philosophiques ou/et politiques. Cet affaiblissement de référence à leur valeurs respectives entraîne pour les nations une altération de leur mécanisme régulateur, voir une réduction de la citoyenneté au profit du consumérisme. Il en résulte une accélération de l'exclusion et un rejet à croissance exponentielle d'inaptes. Cette rupture de lien social entre acteurs nantis et exclus démunis se situe aujourd'hui autant entres pays industrialisés et pays en développement qu'à l'intérieur même de chacun de ces pays, ouvert ou qui s'est ouvert à l'économie de marché. Notons que ces ruptures sont croisées, autant sociales que sectorielles. Alors que progressivement ces états sont contraints d'abandonner les termes d'une société choisie pour ceux d'une croissance subie, qu'en est-il du Laos ? Est-il en mesure de s'intégrer à l'économie mondiale, à sa région, sans perdre ou sans trop perdre de sa personnalité? Quels sont les termes opposables de l'identité laotienne pour une intégration personnalisée dans le cadre du développement mondial ? Je ne retiendrai que trois termes : économique, sociologique et culturel.

 

- Sociologique :

 

Les Lao et assimilés sont plus d'une quarantaine de millions en Asie du Sud Est. Le Laos compte cinq millions d'habitants, se décomposant en lao et assimilés. Malgré un indice de fécondité des plus hauts du monde (6,7), et le doublement de sa population en une vingtaine d'années, le Laos est encore sous-peuplé : 20 habitants au kilomètre carré, mais il y avait un retard à rattraper dans cette région car au début du siècle on ne comptait pas 3 habitants par km². Je souhaiterais à cet égard attirer votre attention sur la spécificité des communautés minoritaires : Hmongs,  et surtout Kha et les autres, qui représentent plus d'un tiers de la population laotienne. Ces populations occupent les zones stratégiques du pays, de surcroît les plus exposées aux déversements migratoires potentiels pouvant résulter de densités démographiques disproportionnées aux frontières communes. Elles sont également exposées à des dynamismes économiques voisins auxquels elles doivent faire face, dans le cadre d'un échange en termes inégaux. En vue de renforcer la mission de gardiennes de leur territoire et de protectrices de leur économie et de leur culture, elles doivent être mises en mesure de participer davantage au développement et d'en bénéficier au même titre que les habitants des vallées.

 

- Economique :

 

Le PIB a été multiplié par cinq de 1986 à 1994. En passant de 320 millions de dollars à 1,616 milliards soit de 80 à 350 $ /hab en 1994. Selon le classement fait sur la base de l'IHD (Indice de développement humain), le Laos occupe le 136ème rang sur 174 pays classés, derrière la Thaïlande, le Viêt-nam, et le Myanmar, mais devant le Cambodge. Deux éléments de l'indice pénalisent le Laos, le taux de scolarisation et l'espérance de vie. Toutefois, selon le PIB ramené au pouvoir d'achat, le Laos passe au 108ème rang, autrement dit juste après la Chine, qui est au 102ème rang, derrière la Thaïlande qui est au 59ème rang, mais devant par ordre le Viêt-nam, le Cambodge, et le Myanmar.

La monnaie. Le cours officiel était, aux dernières nouvelles, à 2000 kips pour un dollar.

Import-export. Cet indicateur, chroniquement mauvais depuis un demi-siècle, connaît deux tendances positives : une progression de son taux de couverture ; passé de 40 à 60 % de 1990 à 1994, et un redéploiement de la structure des exportations marqué par un ménagement du capital forestier qui passe en pourcentage de la structure de 42 à 26 % et une progression des produits manufacturés inducteurs d'emplois, qui passe de 29 à 56 %.

Le budget. A partir de 1993, le montant des recettes ordinaires couvre les dépenses courantes, c'est-à-dire pour ce qui est du pur fonctionnement. A partir de 1994-95, la contraction des recettes et dépenses ordinaires laisse un excédent permettant la prise en charge des dépenses d'investissement. Toutefois , dépenses et recettes totales contractées laissent un déficit de 11% du PIB en 1994. Les dons accordés ont réduit de moitié ce déficit et, pour la part restante, le Laos obtient des prêts à des taux très préférentiels.

La dette. La dette totale en 1994 s'élevait à 2,080 milliards de dollars , soit 136 % du PIB de la même année. Il s'agit là d'un endettement non négligeable, relativisé, il est vrai, par un accroissement constant du PIB, l'amélioration de la couverture des échanges, l'accroissement maintenu des investissements et la mise en place d'un plan. Les ressources minières ( étain, or, émeraude, gypse, pétrole, marbre ) et surtout le potentiel hydroélectrique, qui font du Laos le château d'eau de la péninsule (ce potentiel étant estimé à 18000 MW, dont 200 seulement sont développés aujourd'hui), représentent l'équivalent de10 à 12 fois le PIB lao. Ce potentiel devrait apporter des recettes énormes au Laos, et atténuer le coût énergétique de sa production, sous réserve du pari qui a été fait sur cette option.

 

- Culturel :

 

Comment comprendre qu'on ait si peu parlé du Laos dans la monde? Deux événements ont réduit la splendeur du Royaume du Lan Xang Hôm Khao au 17è siècle, à l'état de petit Royaume de Louang- Phrabang triplement vassalisé, replié sur ses souvenirs et déstabilisé par une bande de 500 pirates qui menaçaient de le mettre à sac. C'est dans cette situation qu'Auguste Pavie trouva le Laos à la fin du siècle dernier et que la France apporta son aide suivant les termes qui présidaient aux relations internationales de l'époque. Un premier événement physique, les guerres intestines que se livrèrent pendant deux siècles les princes lao après la mort du brillant monarque Souligna Vongsa (1694), conduisit au démantèlement progressif du grand royaume. Le deuxième événement, d'ordre culturel, Tiao Anou, roi de Vientiane, l'une des trois provinces qui se disputaient la succession du Lan Xang et qui avait rejeté la tutelle siamoise, est battu en 1828 après avoir frôlé la victoire. La ville de Vientiane est gommée de l'espace, mise à sac, brûlée, rasée et vidée de ses habitants déportés sur la rive droite du Mékong. Ce dernier événement réduisit à néant les richesses concentrées dans la capitale et affecta longtemps le rayonnement culturel de la société lao.

Cette page d'histoire explique la relative méconnaissance que nous avons de la culture lao sans que celle ci ai perdu de son intégrité, aujourd'hui retrouvée par la tradition orale, et les nombreux manuscrits que l'on retrouve et qui sont conservés à la bibliothèque nationale à Vientiane, et il y en a encore beaucoup à identifier et à classer. L'âme lao est le sanctuaire de multiples philosophies, pratiques et religions assimilées au fil des siècle où domine le bouddhisme traditionnel. Le non-dit dans la communication laotienne a une place capitale. Il s'extériorise toutefois à travers de sourires et de codes qui, pratiqués au second degré, laissent la face sauve à l'interlocuteur, quels que soient les propos et les circonstances. Le souci de ne pas choquer est toujours présent dans la pensée de cette société poète, musicienne, conviviale, épicurienne avant tout, douée d'un sens inné de la mesure. Ce corpus de valeurs confère à la personnalité laotienne cette extrême capacité d'adaptation aux situations les plus innovantes et à un insigne détachement aux regards des vicissitudes. Alors, comment concilier les termes de l'échange entre un marché prédateur de valeurs mais néanmoins facteur de dynamisme économique et cette société de l'art de vivre ?

Sur le plan national, le sixième congrès du P.P.R.L, des 18 et 20 mars 1996, a articulé sa ligne politique sur les termes visant à corriger les dérives signalées en début de ce propos et dont je n'en citerais que quatre :

Enfin, une autre proposition qui n'engage que moi, serait de l'opportunité d'étudier les conditions suivant lesquelles les potentialités laotiennes de l'extérieur pourraient être associées au développement national en accordant peut être des clauses préférentielles par rapport aux étrangers.

Sur le plan de la coopération internationale et de l'échange, le danger principal qui guette le Laos comme tout pays en développement, c'est le danger de substitution. Il n'existe pas de modèle universel applicable pour le développement en ce sens que les hommes, considérés dans leurs besoins identiques, et dans la diversité de leur culture, ont des visions et des options différentes pour le réaliser. Issus de sociétés à haut degré de consommation, les systèmes et les pratiques importés induisent une forte charge de récurrence, compromettant la maintenance des équipements et la fiabilité des systèmes, en même temps qu'ils imposent une matrice artificielle dans l'occupation de l'espace et des contraintes illégitimes au mode de vie. Ils accroissent la dette au risque de compromettre les investissements budgétaires, hypothèquent l'émergence de logique autonome, l'aide internationale a failli par excès et souvent par inadéquation. Il faut sortir d'une logique de crise et d'urgence qui finit par se nourrir d'elle même et qui devient onéreuse par la cohorte d'experts, de consultants et de coopérants en trop grand nombre, payés finalement par le pays de résidence, à l'exception de la coopération française qui supporte elle, cette charge en général.

Le développement doit être assuré par les ressortissants du pays principalement. Les experts étrangers doivent être peut nombreux et bien choisi. C'est pour cette raison que je renouvelle une proposition que j'avais faite précédemment à un colloque au Sénat. Cette proposition viserait à ce que l'aide internationale, accessoirement de la France, accorde mille bourses en cinq ans pour le Laos, le pays le plus francophone d'Asie. Le Laos est un peu David entouré de Goliath : le tiers de l'humanité, soit deux milliards, à ses frontières. De ce fait, il offre de très nombreux avantages comparatifs qui valorisent ses termes dans l'échange. Situé au centre géostratégique de cette zone, il devient l'observatoire et souvent le passage obligé. Cette situation géostratégique l'expose certes aux multiples échanges et tensions, mais lui confère un poids spécifique qui renforce son pouvoir de négociation et qui sert sa capacité diplomatique. Le Laos entretient d'excellentes relations avec tous ses voisins, avec lesquels il a délimité toutes ses frontières, la dernière en négociation avec la Thaïlande étant en cours. Le Laos est par excellence l'Etat adjuvant de toutes les dynamiques de paix dans cette région.

Je conclurais par une pensée personnelle: quand je pense à la culture laotienne, je vois le monde meilleur.

 

La sécurité alimentaire au risque de la mondialisation

 

par Pierre Rabhi, Président de Carrefour International d'Echanges

de Pratiques Appliquées au Développement.

 

 

Il est souvent difficile de prendre la parole en dernier quand il y a eu autant d'interventions intéressantes, ou que des redites sont possibles. Je suis très touché d'être ici, d'abord parce que M. Voravong est un grand ami., et que le thème représente un des enjeux les plus graves de notre temps.

Je ne peux prétendre être représentatif des Laotiens, ni des Européens. Je suis né dans le continent africain, qui lui aussi a ses propre problèmes. Nous sommes nombreux ici à nous exprimer en français, qui n'est pas notre langue d'origine. Nous sommes des éléments de la colonisation. Je suis par conséquent de double culture, né dans une petite oasis du sud algérien, éduqué à l'européenne, d'origine musulmane, et très tôt appartenant à deux mondes, entre ma famille européenne et ma famille d'origine. Je suis donc issu à la fois du Nord et du Sud, entre tradition et obligation d'entrer dans la modernité.

 

Ma question aujourd'hui, et sans être désobligeant, c'est de me demander si notre catégorie sociale n'est pas le produit du rapport entre l'Orient et l'accident. Est-ce que nous ne vivons pas nos situations collectives et individuelles dans l'obligation de nous mettre à jour d'une civilisation pour laquelle nous n'étions pas préparés ? Cette obligation s'accompagne de nombreuses ruptures et de difficultés, et nous sommes parfois dans cette interrogation sur nos identités: que signifions-nous ? Toutes ces questions-là nous nous les sommes posées à travers beaucoup d'événements difficiles comme la guerre d'Algérie, suivie pour ce qui me concerne de la venue en France presque en pèlerinage, car nous étions préparés à l'école à considérer la France comme maternelle; et arrivant en France, la constatation que ce pays avait proclamé comme beaucoup d'autres le progrès, mais que son progrès était extrêmement ambigu.

En effet, le progrès était couplé à une certaine défaillance de l'humanisme. Derrière ces proclamations d'un avenir libéré par ce progrès, cette science et cette technique, se cachait une idéologie fondamentale complètement masquée : le goût du profit et la volonté de puissance se sont emparés de toutes nos innovations pour les détourner de leur objectif qui est effectivement d'essayer de contribuer avec la démocratie à la création d'une société humaine planétaire conviviale et non pas conflictuelle.

 

Ce matin j'ai écouté avec beaucoup d'attention les intervenants, et étant un écologiste de première date, mon interrogation a été souvent : pourquoi ne pas associer les êtres humains et la nature et, à partir de ceci, définir toute notre organisation sociale ? Donc ne pas mettre le profit au centre de tout en organisant la société autour. Le dialogue entre les deux cosmonautes russe et américain me revient souvent. Ils ont eu tous les deux le privilège d'observer la planète Terre de la Lune et ils ont en quelque sorte hoché la tête en se disant que finalement cette histoire de deux blocs antagonistes était totalement stupide et que l’équilibre de la terreur n’avait pas de sens. Ce qu'ils voyaient de leur observatoire était une réalité unique d'une planète unique sur laquelle il y a X milliards d'individus dont le destin est collectif. C'est à eux de faire de cette planète soit une oasis de paix, soit une sorte de Titanic voué au naufrage.

Ma préoccupation depuis des années a été de savoir pourquoi nous étions capables de prouesses technologiques absolument extraordinaires, mais pourquoi toutes ces prouesses ne nous ont pas permis de faire évoluer l'humanité vers un essor commun pour la convivialiser, l'humaniser, et pourquoi nous sommes toujours dans un antagonisme permanent. Nord contre Sud, économies contre économies, nations contre nations, bombes, engins de destruction, toutes ces choses blessent l'intelligence. Par ailleurs, nous savons que cette planète est limitée. Nous lui demandons beaucoup trop. Ce matin, nous parlions de la Bourse. Eh bien, je me demande si le dernier ultimatum qui sera adressé à l'humanité ne sera pas de choisir entre la Bourse ou la vie. Ce matin, j'étais amusé de constater que très symboliquement, il y avait une femme au centre, avec trois hommes de chaque côté, et la femme tâchait de faire l'équilibre entre les deux en distribuant la parole. Je crois qu'aujourd'hui le principe féminin, c'est-à-dire ce principe moins agressif, est peut-être indispensable au monde d'aujourd'hui.

 

J'ai commencé par une petite exploitation dans le sud de la France, que nous avons mise en valeur ma femme et moi, car après avoir travaillé trois ans dans l'industrie, nous nous sommes rendus compte que cette industrie avait une structure pyramidale. Les gens importants étaient en haut, concentrant tous les avantages et les privilèges, et nous qui n'avions pas été capables d'être autre chose que des OS, nous concentrions tout ce qu'il y avait de négatif : le mauvais salaire, le manque de considération, et comme dirait Fernand Raynaud, nous n'avions plus personne à vexer parce que nous étions au dernier niveau de la hiérarchie.

Pourquoi cette structure pyramidale, alors que nous étions censés être là pour travailler à la promotion humaine ? Cette question m'a hanté depuis très longtemps. Déjà, j'ai fait mon " 68 " en 57. Et puis, depuis très longtemps, je me demande comment contribuer selon mes modestes moyens à l’évolution positive de l'humanité.

N’étant pas en accord avec les options de notre société, la première insurrection pour nous a été d'essayer de trouver un autre espace, et nous avons fait ce qu'on appelle un retour à la terre en Ardèche. Nous avons pris une ferme, de très mauvaise qualité d'ailleurs agronomiquement, et nous l'avons aménagée. Nous avons ainsi fait l’expérience de l'agriculture et, ne connaissant pas cette activité, j'ai été ouvrier agricole. Je suis reconnaissant à Marc Dufumier d’avoir posé les bases de ce que je vais dire. Etant ouvrier agricole, j'ai été amené par mes patrons à faire un certain nombre de pratiques. L'une des premières choses qui m'avaient étonné était le fait qu’avec notre système moderne de production, nous ne pouvions plus produire sans détruire et sans nuisances. Produire voulait dire répandre des substances toxiques sur les arbres et dans l’environnement, mettre des engrais chimiques dans les sols, recourir à une mécanisation de plus en plus violente, etc.

 

Je vais essayer de résumer l'histoire de l'agriculture occidentale, de dire pourquoi elle relève du système industriel, et comment elle a fait entrer l'agronomie dans le productivisme agricole. Je ne nie pas le fait qu'il y avait une nécessité de produire. Mais à l'origine, l'Occident a vécu une situation particulière, l'industrialisation. Celle-ci a provoqué, avec l’avènement de la thermodynamique en particulier, une rupture entre le Nord et le Sud avec le passage du cheval animal au cheval vapeur. La nature jusque là avait mis des limites à nos capacités. L'ensemble de l'humanité avait recours à l'énergie métabolique disponible dans la nature. Napoléon Bonaparte, tout puissant qu'il était, ne pouvait pas se déplacer plus vite que son collègue Alexandre Le Grand, 250 ans avant Jésus-Christ, ou que Gengis Khan. Et à partir du cheval vapeur, l'homme a disposé d'une capacité énergétique immense. C'est ainsi qu'il y a eu rupture entre les pays dits développés et les pays dits sous-développés. Mais pour qu'il y ait ce miracle industriel, il fallait que plusieurs conditions soient réunies. Premièrement, le génie inventif technologique, qui est un phylum particulier que l'occident a généré. Deuxièmement, il fallait le capital, qui a été fourni par la thésaurisation du monde rural. Le troisième élément était la main-d'œuvre fournie par les migrations des ruraux les plus pauvres, et comme on sait, M. Taylor a su les utiliser la main d’œuvre non qualifiée en fragmentant le travail. Le quatrième élément a été le phénomène colonial. On a pu aller chercher dans des territoires coloniaux qui représentaient des surfaces considérables de grandes quantités d'énergie et de matières premières quasi gratuites en plus de la main d’œuvre, comme on sait.

Tous ces facteurs ont contribué au fameux " miracle " industriel. Cependant, celui-ci était difficile à répandre. Dans ce contexte, l'agriculture, en manque de main-d'œuvre à cause de l'exode rural, a dû trouver les moyens d’intensifier la production pour nourrir les populations urbaines mobilisées par la production industrielle. Un chercheur en chimie organique, M. Liebig, a découvert alors les engrais artificiels qui, avec la mécanisation, ont considérablement haussé la productivité des sols.

Toutefois, on n'a pas pris conscience d'un fait important. La terre n'est pas un substrat inerte, mais un système vivant, qui a un métabolisme générant les substances qui nourrissent les plantes. Entre la terre, le végétal, l’animal et l’homme, existe une cohésion dans laquelle circulent ces énergies et ces substances. Donc, tout ce que nous faisons à la terre se répercute sur le système et nous atteint. On n'était pas passé à côté de cela; et cette découverte revient à certains agronomes humanistes comme Rudolph Steiner entre autres. Il ont mis en évidence le danger d'une minéralisation des sols, par des apports trop importants d’engrais minéraux solubles et d'une agression chimique sur le milieu qui peut être désastreuse.

C'est pourquoi, pratiquant moi-même l'agriculture, j'ai rompu avec l'agriculture conventionnelle pour expérimenter, à mes propres risques, sur les terres pauvres et rocailleuses de notre ferme, les méthodes dites agrobiologiques. Nous avons ainsi démontré qu'un sol pauvre à l'origine peut être enrichi considérablement, dynamisé et non épuisé ou pollué. Sans l’avoir voulu, je suis alors devenu un expert international en cette matière. Nous avons organisé des stages sur la ferme. Puis je me suis préoccupé des pays dits " en développement ", en me demandant s'ils allaient pouvoir généraliser les méthodes occidentales ou bien recourir à ces méthodes alternatives.

On s’aperçoit assez vite qu’il est impossible aux pays pauvres d'accéder aux procédés modernes pour assurer leur propre sécurité alimentaire. En effet, dans l'agriculture moderne, pour produire une calorie alimentaire, il faut brûler 8 à 10 calories d'énergie. C'est-à-dire que faisant la somme des prix des semences, des engrais, des pesticides, de la mécanisation, du pétrole et de tout ce qu’on appelle les intrants, on constate que cela nécessite beaucoup de richesses (et le développement de ce type d'agriculture à l'époque de la révolution industrielle n'a été possible que grâce aux afflux de richesses provenant des colonies). Or pour produire une tonne d'engrais, il faut environ trois tonnes de pétrole. Et le pétrole étant indexé sur le dollar, à chaque fois qu'un paysan se connecte à ce mode de production, il se connecte à la mondialisation. Voilà le bilan économique qui est, comme vous le voyez, assez lourd.

Mais il y a un autre bilan que l'on ne fait jamais, c'est le bilan écologique, que l'on peut maintenant faire en France et dans de nombreux pays. Je suis allé en Bretagne récemment. Savez-vous que les nappes phréatiques de la Bretagne sont contaminées à un tel point par les nitrates qu'on ne peut plus boire d'eau ? On sait maintenant que les sols qui avaient un taux de 6 % d'humus, élément clé de la fertilité, ont vu ce taux descendre à 1%, et même moins. L'humus, richesse formidable accumulée par la nature et entretenue par la paysannerie, a donc été détruit par quelques décennies de mécanisation et d'interventions trop agressives. Concernant les espèces, on trouve partout une érosion fantastique du patrimoine nourricier de l'humanité. Celui-ci est remplacé par des hybrides non reproductibles par les populations, et donc non maîtrisables et onéreux.

 

Pourquoi y a-t-il de plus en plus menace sur la sécurité alimentaire ? C'est parce qu'on a mis en place un système concentrationnaire de production (et là encore je suis d'accord avec Marc quand il dit que la production doit être maîtrisée par les populations là où elles sont). Aujourd'hui, la capacité des populations à survivre par elles-mêmes leur est confisquée par un système agro-alimentaire international. Les villes sont surpeuplées et les campagnes se désertifient. Les perspectives pour le futur sont donc de n'avoir plus que 3% de producteurs agricoles français qui suffisent à produire la matière première, mise en valeur par l'industrie et rentrant dans le marché international. Quand vous allez dans un supermarché pour acheter un fruit, il a fait des milliers de kilomètres alors que vous avez tout ce qu'il faut pour le produire localement. Pour illustrer cela, j’évoquerai l’anecdote du camion de tomates espagnoles destinées à la Hollande et de celui - de tomates également, mais hollandaises - parti pour l'Espagne, qui se heurtent sur une route nationale, et les tomates hollandaises et espagnoles se trouvent ainsi mêlées. C'est la caricature du système qu'on a mis en place, dans lequel les populations, disposant pourtant de moyens là où elles sont, ne peuvent assurer pour elles-mêmes leur survie alimentaire. directe en maîtrisant par elles-mêmes leur propre survie alimentaire. On ne se nourrit, de plus en plus, que de denrées transitant sans cesse d’un point de la planète à un autre selon la loi du marché.

La liste serait longue s'il s'agissait de vous expliquer entièrement pourquoi il y a danger en matière de sécurité alimentaire. A ce danger quantitatif s'ajoute un danger qualitatif. Avant l'avènement de la " vache folle ", nous, les agro-écologistes, n'étions pas pris au sérieux quand nous mettions en garde contre ces dérives dangereuses. Et aujourd'hui, nous ne sommes pas sortis d'affaire, car la qualité de nos aliments est en baisse considérable, et avec les éléments génétiquement manipulés nous ne savons pas où nous allons quoi qu’en disent les experts. Car il n’y a rien de plus imprévisible que le système vivant, et nous aurons peut-être à déplorer encore une fois le fait que nous n’aurons pas été aussi prudents. L’obscurantisme scientifique est aussi un fait de société. La création d’espèces vivantes modifiées et brevetées, donc qui rentrent dans le système économique de la mondialisation, ne se justifie que par le profit, car le patrimoine génétique végétal et animal de l’humanité est encore considérable et ne nécessite souvent qu’une optimisation pour satisfaire largement aux besoins des populations. Et cette obligation internationale de croissance que l’on fait à toutes les nations est une règle inhumaine. Car on ne peut pas imposer à des peuples pauvres d'être dans la compétitivité (c'est comme si j'allais affronter Mohamed Ali).

 

Il y a une utopie qui veut que chaque peuple puisse se développer, faire son développement sur ces bases. Mais il ne faut pas oublier que le développement est fondamentalement culturel et spirituel. Et la crise d'aujourd'hui n'est pas une crise matérielle, c'est une crise qui est en nous-mêmes, au plus intime de notre conscience. Le jour où nous comprendrons que les autres peuples ne sont pas nos antagonistes, mais nos compléments, nous aurons évolué vers cet humanisme qui devient de plus en plus indispensable dans le domaine de la sécurité alimentaire, qui concerne tous les peuples. L’éducation des enfants peut contribuer très fortement à cette mutation.

 

Des méthodes, que je n'ai pas le temps de vous expliquer, ont été mises au point : les méthodes agro-écologiques. Il y a donc une alternative, sur laquelle je travaille ( je ne suis pas là seulement pour faire la critique du modèle). Elle est autonome, c'est-à-dire qu'elle permet au paysan de recouvrer sa capacité à s'autosuffire, à travers la mise en valeur de ses propres ressources, grâce à son propre savoir faire, et elle est tout à fait au point. Elle a déjà eu un impact important sur le Sahel, l'Afrique du Nord. Cette alternative d'une gestion différente et d'un rapport différent entre les humains et la terre qui les nourrit existe, mais à condition qu'il y ait une volonté spirituelle et morale qui puisse mettre en route ces processus.

 

L'alternative existe en nous. Tant que nous ne nous interrogeons pas sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes, sur le rôle que nous avons ici-bas, sur ce que nous pouvons faire de positif là où nous sommes, la société ne peut pas changer. Elle ne changera pas par des proclamations. Et j'espère que nous allons tous travailler à cela.

 

 

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Chansamone Voravong

 

 

Je remercie Pierre Rabhi qui a placé le développement du Laos dans la problématique humaine et universelle. C'est pertinent et inévitable. Nous ne disposons plus de temps pour poser des questions aux deux derniers intervenants, malheureusement. Je vais donc conclure cette session avant de rendre la présidence du colloque au Général Paris.

 

Oui, le Laos possède des atouts pour son développement équilibré et durable. C'est dans ces conditions, qu'il pourra trouver son autonomie et jouer effectivement son rôle prédestiné d'Etat adjuvant de toutes les dynamiques de paix dans la région de l'Asie du Sud-Est.

Le Laos étant un pays où plus de la population est à 80% rurale, c'est au développement rural et à l'agriculture qu'il faudrait accorder la priorité, ce genre de développement qui pourrait permettre aux gens de vivre sur place, sans perdre leur identité ni leur savoir-faire et qui leur permettrait d'entrer dans le marché en en gardant une maîtrise. La chance du Laos, même s'il s'intègre à l'ASEAN et aux échanges internationaux, serait de pouvoir conserver son originalité et un certain nombre de ses avantages comparatifs. Les Laotiens ont cette tradition culturelle et spirituelle --d'éléments stabilisateurs-- qui constitue une chance et une force salvatrice , leur permettant une attitude relativement détachée devant le mythe de la croissance et l'obligation de la compétition. L'alternative existe.

Il existe un handicap important: le Laos manque cruellement de ressources humaines, en particulier de techniciens et de gestionnaires. Le réservoir que constituent les Laotiens d'outre-mer toujours désireux de servir leur pays d'origine, pourrait remédier à la crise. Il s'agirait pour le Laos de préciser ses besoins et comment il compte employer les Laotiens expatriés.

Sur ce modèle de développement qui serait possible et souhaitable pour le Laos, nous sommes heureux de constater la convergence des arguments de l'agronome institutionnel et de l'agro-écologiste d'avant-garde. Les constatations, les inquiétudes et les espoirs des autres intervenants concernant le Laos s'accordent à ceux des agronomes. Ce qui pour le Laos peut constituer une reprise de confiance de sa population en ses propres capacités --une sorte de réhabilitation et d'amélioration du savoir-faire paysan--, pourrait s'avérer être un exemple d'alternative pour pallier les dérives du productivisme actuel ailleurs.

 

Pour terminer, je voudrais faire remarquer qu'à travers les excellentes présentations de Marc Dufumier, d'Yves Nouguérède, d'Amphay Doré et de Pierre Rabhi, sur un pays apparemment lointain et sans importance, et sur le développement en général, c'est quand même le génie français qui s'est exprimé. Soutenir les peuples dans leur développement économique, culturel et spirituel, serait une des missions de la francophonie et, à travers la langue française, sa véritable vocation.

 

Je tiens encore à remercier les intervenants pour leur générosité et leur sincérité, j'invite le Général Paris, Président de DEMOCRATIES, à venir conclure le colloque.

 

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Conclusion par le général ( cr ) Henri Paris

 

Président de DEMOCRATIES

 

 

Chers amis, tirer les conclusions n'est pas résumer ce qui a été dit ce matin et cet après-midi. D'une part je le ferais très certainement mal, et d'autre part, ce ne serait jamais qu'un plagiat bien inutile. Conclure, c'est ce qu'on m'a appris à Sciences Po dans le temps (ça ne me rajeunit pas), le tout est dans le tout et l'avenir tranchera, et il s'agit d'ouvrir sur l'avenir.

Ce matin nous avons survolé les grandes questions qui touchaient la zone Asie-Pacifique et ses confrontations. Cet après-midi, nous nous sommes plongés sur un exemple type, le Laos. Il est bien certain que la zone Asie-Pacifique aujourd'hui est arrivée à un certain équilibre. Celui-ci est clair : une grande nation, les Etats-Unis, tient le leadership. Leurs flottes règnent en maîtresses dans le Pacifique. et finalement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L'ennemi russe, le couteau entre les dents, a disparu. Et c'est même parfois embêtant, car quand on n'a plus d'ennemi, on ne sait plus quoi faire. Parfois on se demande s'il ne faudrait pas ressusciter Staline, le ressortir et l'installer à Vladivostok, pour qu'il puisse menacer l'Orient. Mais non, ce n'est pas utile (encore que ...).

Or nous voyons poindre quand même, si j'ai bien compris ce matin, quelques secousses. Ce n'est pas un monde calme. La secousse la plus connue est la secousse boursière, et elle se répercute. Le village mondial est touché. Le petit Laos lui aussi est emporté par la menace. C'est un pays qui a bien des exilés. Et ceux-ci font un effort remarquable, comme il a été dit, au niveau de l'élévation culturelle et de l'expansion intellectuelle.

A présent je vais émettre tout un flot d'hypothèses. Tout peut se produire, y compris une renaissance du conflit entre les Chinois et les Américains, en admettant même que ce conflit ait cessé. Jusqu'où iront-ils ? Ce sont deux nations nucléaires. Hongkong a été rattaché. Tiens, on n'a pas parlé de Taiwan ce matin, ou pas trop, un peu par allusions. Mais en entrant dans Hongkong, les Chinois se sont dit qu'il allait bien falloir que Taiwan revienne aussi à la mère patrie. Reste un petit problème qui, il y a deux ans, a failli finir très mal. Les Chinois avaient fait des manoeuvres dans la région, des missiles s'étaient perdus dans les eaux territoriales taiwanaises. La flotte américaine croisait dans la Détroit de Formose, on donnait du canon. Et là on peut s'interroger sur certaines questions. Taiwan appartient-elle à la Chine ? Est-elle indépendante ? Et cela vaut-il une guerre ?

Autre hypothèse. La Russie est au 36è dessous. Elle est en proie au désordre de l'Etat, il n'y a plus d'armée. Alors les Chinois et les Russes ont établi un système pacifique. Et si la Russie retrouve un régime fort ? C'est le genre de ce que les Russes aiment, ils ont déjà connu ça dans leur longue existence. Après le temps des troubles vient Pierre Le Grand. Et celui-ci secoue le monde en battant Charles XII de Suède. Maintenant les Suédois (et le représentant de l'ambassade de Suède ne m'en voudra pas) sont neutres, gentils, magnifiques, et les filles suédoises sont remarquables. Mais les Suédois de Gustave Adolphe et de Charles XII, ceux qui chantaient à travers l'Europe " notre dieu est une puissante forteresse ", casqués, bottés, répandant la terreur et la puissance des armes .... je ne sais pas si les filles étaient jolies, mais en tous cas on les fuyait. Donc Charles XII de Suède battu à Poltava*** en 1709, et voilà les Russes dôtés d'un régime fort, coupant les têtes, et voilà Pierre Le Grand qui devient dominateur de l'Orient. Et si cela se reproduisait ? Est-ce que le monde ne changerait pas à nouveau ?

Tout cela mérite d'y réfléchir, c'est là ma conclusion. Nous sommes à un moment certainement charnière dans l'Histoire du monde et dans l'Histoire nationale, un moment où les états se fondent et se refondent, où les unions se forment, où l'ASEAN prend corps, où l'Europe se cherche. Donc, c'est un moment charnière. Et c'est sur ce moment qu'il faut réfléchir, de manière à ne pas recommencer certaines folies. Cela mérite que l'on s'y arrête.

En ce qui nous concerne, nous avons passé cet après-midi à y réfléchir un peu. Nous avons apporté notre pierre à cet édifice. En ce qui concerne DEMOCRATIES, cela continue. DEMOCRATIES fonctionne aussi par commissions. Il y a plusieurs commissions, mais il en manquait une. Voilà, je viens de la fonder. Elle s'appellera commission Asie et sera présidée par Chansamone Voravong. Si vous voulez vous y joindre, il n'y a qu'à le dire et vous venez travailler dans la convivialité, et nous y réfléchirons tous ensemble.

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