LE ROYAUME
de
LANE XANG

par
François GALLIENI (1967)

L'histoire du royaume du Laos (le Lane Xang: pays du Million d'Eléphants) se confond étroitement avec celle de sa dynastie qui s'est perpétuée en ligne directe jusqu'à la période contemporaine en dépit de toutes les interruptions dues à des aventuriers ambitieux ou aux convoitises des Etats voisins. Si certaines péripéties ont fait perdre à l'état lao une partie des territoires sur lesquels il étendait son contrôle à son apogée, on peut en effet considérer maintenant que ses frontières sont semblables à ce qu'elles furent du temps de ses premiers souverains dont le descendant direct est le roi actuel, S.M. Sri Savang Vatthana.

L'ancien président du conseil Katay Don Sasorith fait remonter les origines de la monarchie lao au roi Khoun Boulom dont il affirme qu'il était descendant de ces rois Thaï qui régnèrent jadis sur la Chine. On ne possède toutefois sur ce roi que des renseignements fragmentaires; partielles sont également les informations qui évoquent l'établissement à cette époque sur les rives du Mékong, au Tonkin, au Siam et en Birmanie de ces Lao de race thaï qui fuyaient le joug chinois. Ce sont néanmoins ces populations, dont on a dit aussi qu'elles venaient de Mongolie, qui constituent l'actuel peuple lao, en même temps que les Khâ, d'origine indonésienne et refoulés du sud de la péninsule indochinoise, et que les différentes minorités Mèo, Lu, Yao, refoulées ultérieurement de Chine.

C'est seulement du XIVe siècle qu'on peut commencer à dater les premiers efforts de la dynastie royale du Laos dans sa lutte pour l'unité du pays. En 1353, le prince Fa Ngum, après avoir vaincu différents ennemis, se fait en effet couronner, à Luang Phrabang, souverain du pays qui se dénommera désormais le Lane Xang.

Déposé en 1393, Fa Ngum est remplacé par son fils, dont le nom de règne, Sam Sen Thaï "Trois cent mille Thaï" est un ample symbole de l'importance acquise par le nouveau royaume dans toute la vallée du Mékong et surtout sur ses deux rives, grâce aux efforts déployés par la dynastie naissante de Luang Phrabang.

A la mort de Sam Sen Thaï a lieu une longue série de révolutions de palais qui vont retarder l'expansion du Lane Xang. Ce n'est que vers 1520, à l'avènement du roi Photisarath, et, trente ans plus tard, à celui de son fils Setthathirath, que le royaume connaît un nouvel essor. Le roi Setthathirath, dont la statue orne actuellement la grande esplanade du That Luang, à Vientiane, décide d'installer dans cette ville (alors Vieng Chan: "Rempart de santal") la capitale du pays et fait installer dans le sanctuaire du That Luang, construit spécialement à cet effet, en 1566, le Phra Kèo (Bouddha d'émeraude) qui devient l'un des principaux symboles de la monarchie laotienne. (Le That Luang, détruit au début du XIXe siècle par les Siamois, qui emporteront définitivement le Phra Kèo à Bangkok, après la prise de Vientiane, sera restauré en 1930 par l'école française d'Extrême-Orient et constitue actuellement un des plus beaux monuments de la capitale administrative du royaume.)

Le règne de Setthathirath peut être considéré comme marquant l'apogée du Lane Xang. Toutefois, la disparition mystérieuse du souverain au cours d'une campagne militaire dans le sud du pays et des querelles de succession vont faire perdre progressivement au royaume tous les avantages acquis. L'extension des royaumes voisins de Birmanie et du Siam menace directement le Lane Xang, qui va être désormais livré aux invasions étrangères. Déjà, de son vivant, le roi Setthathirath avait dû abandonner le royaume de Xieng Mai, son apanage originel, à la souveraineté des Birmans: ceux-ci, en 1574, prennent Vientiane et l'occupent pendant sept ans, tandis que s'accroît, au sud, l'influence siamoise.

Au XVIIe siècle, une dernière période d'accalmie est marquée par le long règne du roi Souligna Vongsa. De cette époque datent les premières relations des voyageurs étrangers qui se rendent au Laos, des ambassadeurs hollandais notamment, dont on retrouve encore le souvenir en contemplant les portes en bois sculpté qu'ils offrirent à une pagode de Luang Phrabang.

Après la mort de Souligna Vongsa s'instaure une longue période de décadence: les successeurs de ce roi se disputent le pouvoir et finissent par se partager le pays. Trois royaumes naissent, en marge des Etats birman et siamois, et sont peu à peu inévitablement soumis à leur puissance: celui de Luang Phrabang qui subsistera jusqu'à nos jours et sera le noyau du Laos reconstitué à l'époque contemporaine, celui de Vientiane qui disparaîtra en 1826 après la dernière tentative de son roi Tiao Anou pour s'affranchir de la tutelle de Bangkok et qui sera annexé par le Siam, celui du sud enfin, Champassak, dont les princes régneront sous les administrations successives du Siam et de la France jusqu'à ce qu'ils reconnaissent en 1946 la souveraineté de la famille royale de Luang Phrabang sur tout le pays.

Le XIXe siècle ne constituera pas pour le Laos une période faste. Les Siamois imposent plus ou moins durement leur autorité sur les territoires qu'ils ont annexés ou qu'ils administrent indirectement et soumettent le royaume de Luang Phrabang à une tutelle de plus en plus accentuée. Toutefois, le roi Tiantharath obtient à cette époque, de Bangkok, la restitution du Phra Bang (Bouddha de Luang Phrabang) emporté par les Siamois en même temps que le Phra Kèo. On note simultanément l'échec d'une tentative de l'Annam pour occuper le Tranninh (plaine des Jarres) et la ville de Xieng Khouang, fief d'une branche cadette de la famille royale de Luang Phrabang.

De fait, à cette époque, les rois de Luang Phrabang n'exercent plus leur autorité, fragile, que sur la région nord du pays et ils doivent attendre avec patience l'investiture de Bangkok. Le royaume est menacé, de surcroît, au nord par les entreprises des pirates chinois Hô refoulés de Chine ou du Tonkin, qui pillent et ravagent les provinces et que les Siamois ne semblent pouvoir contenir qu'avec peine.

Pour beaucoup, le pays est promis à une prochaine annexion par le Siam ou au démembrement; les horizons sont gris, peu d'espoirs subsistent. Une intervention extérieure va cependant sauvegarder la monarchie lao et l'intégrité du pays, modifiant entièrement les données du problème - celle des Français, déjà installés à Saigon et à Hanoi.

En 1861, le voyageur français Henri Mouhot avait parcouru le pays. Quelques années plus tard, en 1866-1868, une mission dirigée par Doudart de Lagrée et Francis Garnier remonte le Mékong jusqu'à Luang Phrabang, préparant ainsi le chemin à Auguste Pavie.

En novembre 1885, celui-ci est nommé par le gouvernement français vice-consul de France à Luang Phrabang. Peu de temps après, il se recueille sur la tombe d'Henri Mouhot et va déployer tous ses efforts pour sauver le roi Oun Kham de l'offensive des bandes chinoises du chef Deo Van Tri, qui opèrent à partir des montagnes du nord-est du Laos.

Ne trouvant aucune résistance du côté des siamois chargés de protéger Luang Phrabang, Deo Van Tri, en juin 1887, prend et met à sac la capitale royale. Le roi Oun Kham, les autorités siamoises de Luang Phrabang et Pavie réussissent de justesse à échapper au massacre et descendent, dans des conditions difficiles, le Mékong jusqu'à Pak Lay, d'où ils gagneront Bangkok. Pendant le pillage de la capitale, est tué le Tiao (prince) Maha Oupahat (vice-roi, faisant fonction de premier ministre) Souvanna Phomma, grand-père de S.A. le prince Souvanna Phouma, actuel premier ministre du Laos.

Le problème est ainsi, tout d'un coup, posé implicitement aux autorités locales et aux puissances étrangères: le Lane Xang doit-il succomber à une attaque hasardeuse lancée de l'extérieur, plus ou moins appuyée par d'anciens régents d'Annam et à laquelle le gouvernement de Bangkok oppose une résistance insuffisante?

La réponse est donnée indirectement par Auguste Pavie et par les Français, ceux-ci se substituant désormais aux Siamois qui ne sont apparemment pas en mesure de repousser l'invasion étrangère. En octobre 1887 est instituée une commission franco-siamoise chargée d'étudier les questions frontalières. En 1893, les Français occupent tous les territoires situés sur la rive gauche du Mékong. Le 3 octobre de la même année, les Siamois reconnaissent implicitement l'autorité de la France sur ces territoires et Auguste Pavie, qui avait été nommé entre-temps consul général de France à Bangkok, devient commissaire général de la France au Laos. Le 23 mars 1907 est signé un traité franco siamois qui sanctionne ces nouvelles frontières, mais qui, en même temps, Implique la renonciation du Laos à toute autorité sur les territoires situés en rive droite du Mékong, à l'exception des provinces de Champassak (dans l'extrême sud du pays) et de Sayaboury (entre Luang Phrabang et Vientiane). Un grand nombre de Lao se trouvent ainsi devenir citoyens siamois.

Le Lane Xang voit dès lors pour un demi-siècle, pour les bons comme pour les mauvais jours, son destin lié à celui de la France. Le calme est revenu. A Luang Phrabang se succèdent régulièrement les rois, Kham Souk (connu également sous le nom siamois de Sakarine), et son fils Sisavang Vong, tandis qu'à Champassak les descendants de la branche cadette de la famille royale sont (e chefs de province )) sous l'autorité française. Vientiane, où s'installe un résident supérieur français, devient alors tout naturellement la capitale administrative du pays.

Le 26 février 1914 et le 24 avril 1917, deux conventions franco lao fixent le statut juridique du royaume de Luang Phrabang, placé sous protectorat français, et la seconde, bien que non ratifiée, constitue désormais une sorte de charte provisoire du royaume. Avec la Seconde guerre mondiale, arrivent les mauvais jours: le Siam, profitant de la défaite de la France et de son alliance momentanée avec le Japon qui triomphe dans tout le sud-est asiatique, annexe les territoires lao situés en rive droite du Mékong Champassak et Sayaboury.

Le Laos reste cependant à l'écart des grandes luttes locales et un traité franco-lao, signé en août 1941, dote le royaume de Luang Phrabang d'un gouvernement dirigé par le Tiao Maha Oupahat Phetsarath (la fonction de Maha Oupahat, qui avait été supprimée en 1920 à la mort du prince Boun Khong, est ainsi rétablie en faveur du fils aîné de ce dernier, le prince Phetsarath). De ce gouvernement, qui préfigure la future unité du pays, font partie les chefs ou les représentants des plus influentes familles du Laos: le prince Sestha, frère du roi Sisavang Vong, le prince Souvannarath, frère du prince Phetsarath, Outthong Souvannavong et Phoui Panya, représentant respectivement les régions de Vientiane et de Luang Phrabang. On n'y note toutefois aucun représentant du sud du pays et de la famille de Champassak.

Le prince Phetsarath va jouer dès lors un rôle considérable dans les événements qui mèneront le Laos à l'unité et à l'indépendance. Il est en effet toujours Maha Oupahat quand éclate en mars 1945 le coup de force par lequel les troupes japonaises se rendent maîtresses du pays, après avoir interné les autorités et les forces militaires françaises. Avant cette date et jusqu'à la capitulation japonaise du 2 septembre 1945, s'était créé et développé avec l'assentiment du prince un mouvement rassemblant tous les Lao qui aspiraient à l'indépendance, les " Lao Issara ) (les patriotes lao).

De là, la constitution, dès l'annonce de la capitulation du Japon, d'un gouvernement provisoire Lao Issara à Vientiane, soutenu par le Maha Oupahat Phetsarath et présidé par un haut fonctionnaire de la capitale, Khammao Vilay. Parmi les personnalités appelées à faire partie de ce gouvernement se trouvent notamment le prince Souvanna Phouma, frère du prince Phetsarath, et Katay Don Sasorith, qui deviendront à leur tour premiers ministres dans les gouvernements postérieurs à l'indépendance.

Le gouvernement Khammao Vilay proclame peu après l'indépendance et l'unité du LAOS mais se heurte à l'hostilité progressive d'un certain nombre de notabilités qui estiment, apparemment, prématurée l'évolution nouvelle. Ces derniers se réfugient, soit dans la brousse, soit dans le sud du pays, où le prince Boun Oum na Champassak, chef de la branche cadette de la famille royale, regroupe derrière lui, avec l'aide des Français, tous les adversaires du gouvernement Lao Issara de Vientiane. Entre-temps se déroulent des combats fratricides dans le centre du Laos, notamment dans les villes de Paksane, Thakhek et Savannakhet et tout le long du Mékong.

Dans ces circonstances troubles, le prince Souphanouvong, demi-frère des princes Phetsarath et Souvanna Phouma et leader de la fraction " dure du mouvement Lao Issara, joue un rôle important. Le prince Souphanouvong qui s'est vu confier par le gouvernement de Vientiane les fonctions de commandant en chef des forces Lao Issara et qui dispose de l'appui d'éléments vietnamiens partisans de Ho Chi Minh, tente par tous les moyens, avec l'aide de plusieurs membres de son parti, d'empêcher l'avance vers lé nord des Sudistes et des adversaires du gouvernement LAO Issara, appuyés par les troupes françaises.

Un fossé profond s'est creusé dans le pays aussi bien au sein des différentes ethnies que des familles. On peut constater ainsi que les populations Mèo des montagnes prennent parti, soit pour Touby Lyfoung, allié des Français, soit pour son cousin Faydang qui fait cause commune avec le prince Souphanouvong. De même, on retrouve dans les deux camps les membres de mêmes familles. L'exemple le plus frappant est celui de la famille du Tiao Maha Oupahat Phetsarath, qui est suivi par deux de ses frères, les princes Souvanna Phouma et Souphanouvong, alors que les deux autres, les princes Souvannarath et Kindavong ont pris le maquis et luttent contre le gouvernement Lao Issara de Vientiane. Il en est de même au sein de l'influente famille Sananikone, dont le chef, Phoui, futur président du conseil, et son frère Ngon, futur ministre, sont favorables à l'action des Sudistes, tandis que leur frère Oun est un des principaux chefs du mouvement Lao Issara. On retrouve encore ces contradictions dans l'une des principales familles de l'extrême sud du Laos; le chef de cette famille, Kou Abhay, se rangeant résolument aux côtés du prince Boun Oum na Champassak et son frère cadet, Nhouy, faisant partie du gouvernement Lao Issara.

L'action des étrangers se trouvant alors au Laos (les troupes chinoises venues du nord après la capitulation japonaise et les éléments vietnamiens partisans de Ho Chi Minh) et l'évolution générale de la situation dans la péninsule indochinoise, en fonction des grands intérêts internationaux, ne contribuent pas à faciliter le problème.

Quoi qu'il en soit, le 24 avril 1946, des troupes franco-lao venues du sud reprennent Vientiane et réinstaurent leur autorité sur l'ensemble du pays, forçant le gouvernement Phetsarath-Khammao Vilay à se réfugier en Thaïlande. Cette action aboutit à la formation d'un nouveau gouvernement dont le principal ministre est le prince Kindavong, frère du prince Phetsarath et auquel le prince héritier, Savang Vatthana, fils aîné du roi Sisavang Vong, accorde tout son appui. Le gouvernement Kindavong va préparer la mise en place des nouvelles institutions du Laos, tandis que le gouvernement Phetsarath-Khammao Vilay qui, du reste, n'avait jamais été confirmé par une ordonnance royale, part pour l'exil et s'installe à Bangkok.

Les aspirations des deux factions lao vont être néanmoins comblées par la politique du gouvernement Kindavong, sous lequel est consacrée la réunification du Laos sous l'autorité du seul roi de Luang Phrabang, S.M. Sisavang Vong, le prince Boun Oum na Champassak renonçant à ses droits sur le sud du pays/

Un an plus tard, le royaume est doté d'une Constitution (qui sera révisée et promulguée le 14 septembre 1949) et d'un nouveau gouvernement présidé par le prince Souvannarath, second frère du prince Phetsarath. Les premières élections législatives se déroulent en août 1947 au suffrage universel. Le 19 juillet 1949, la signature d'une Convention générale franco-lao consacre l'indépendance du royaume de Lane Xang et prévoit le transfert des compétences et des services fédéraux au gouvernement lao, transfert qui deviendra effectif le 13 avril 1950. L'unité retrouvée du pays avait été marquée, en mars 1949, par un événement symbolique: la formation, à Vientiane, d'un gouvernement présidé par le leader du sud, le prince Boun Oum na Champassak.

Dans ces conditions, la dissidence créée par le gouvernement Lao Issara en exil à Bangkok devenait sans objet et, entre 1949 et 1950, la plupart des personnalités faisant partie de ce gouvernement ou lui étant favorables se rallient au gouvernement de Vientiane. Parmi elles se trouve tout particulièrement le prince Souvanna Phouma, qui va être nommé dès février 1950 ministre des Travaux publics dans le gouvernement de Vientiane, présidé par Phoui Sananikone et qui va constituer son premier gouvernement en septembre 1951.

Deux personnalités Lao Issara, pour des raisons différentes, refusent toutefois d'entériner ce ralliement: les princes Phetsarath et Souphanouvong; le premier, déçu par l'évolution des événements, se cantonne dans une attitude intransigeante et décide de rester à Bangkok, tandis que le deuxième, estimant que le gouvernement de Vientiane est inféodé à l'étranger et fort de son alliance avec les Viêtnamiens partisans de Ho Chi Minh, prend à son tour le maquis dans les provinces du nord du Laos, Phong Saly et Houa Phan (Sam Neua). En août 1950, la création dans ces provinces, par le prince Souphanouvong, d'un gouvernement s'appuyant sur le mouvement " Pathet lao )) (la Patrie lao) qu'il vient de fonder marque le début de la nouvelle dissidence que son frère le prince Souvanna Phouma va tenter désormais de réduire.

Le souci majeur du nouveau premier ministre est en effet de reconstituer pratiquement l'unité du pays, compromise par la dissidence de son demi-frère. Tous les gouvernements qui vont se succéder à partir de ce moment se retrouvent en face du même problème: réintégrer le mouvement Pathet lao dans la communauté nationale. Toutefois, certains des membres du gouvernement de Vientiane adoptent une position nationaliste (l dure ", estimant que cette réintégration est impossible et qu'il convient de poursuivre la lutte contre les partisans du prince Souphanouvong, trop liés dans leur esprit aux Viêt-minh qui opèrent de l'autre côté de la frontière.

Ces divergences suscitent plusieurs crises ministérielles et la formation, en octobre 1954, d'un gouvernement présidé par Katay Don Sasorith, ancien leader Lao Issara, rallié à la cause nationaliste. Un événement caractérise à cette date l'agitation des esprits: l'assassinat à Vientiane, dans des conditions mystérieuses, du ministre de la Défense nationale, Kou Voravong, chef d'une influente famille du centre du pays, qui avait été un des principaux opposants au gouvernement Lao Issara de 1945.

Cette agitation, un autre fait va l'entretenir de l'extérieur: la brusque évolution des événements du Viêt-nam pendant l'année 1954 et la venue au pouvoir, à la fin de la même année, à Sa gon, d'un régime nationaliste qui trouve, au Laos, des sympathisants. Dans ces conditions, la politique préconisée par le prince Souvanna Phouma, qui fait partie du gouvernement Katay en qualité de vice-président du conseil et de ministre de la Défense nationale, va se heurter à bien des difficultés.

Toutefois, en février 1956, quelques mois après l'admission du Laos à l'Organisation des Nations Unies (14 décembre 1955), le prince Souvanna Phouma revient au pouvoir et va mettre tout en oeuvre pour réaliser I union de toutes les forces lao.

C'est ainsi qu'en 1957 il parvient à conclure avec son demi-frère un accord aux termes duquel ce dernier accepte d'entrer dans le gouvernement de Vientiane et d'intégrer progressivement ses partisans dans la communauté nationale.

La trêve est malheureusement de courte durée: le succès d'un certain nombre de partisans du prince Souphanouvong, au cours d'élections partielles pour l'assemblée législative, donne des sujets d'inquiétude aux chefs nationalistes. En août 1958, le gouvernement Souvanna Phouma est renversé et doit faire place à une coalition nationaliste dirigée par l'ancien premier ministre Phoui Sananikone. Cette coalition groupe en fait tous les adversaires de la réintégration du Pathet lao, tous ceux qui jugent que ce mouvement est trop inféodé à ses alliés Viêt-minh pour participer correctement à la direction des affaires.

Dès lors, les événements se précipitent. La situation s'est détériorée au Sud-Viêtnam les passions sont déchaînées dans tout le Sud Est asiatique et ont leur contrecoup inévitable au Laos.
En décembre 1959, le gouvernement Sananikone est renversé par un coup d'état militaire dont le promoteur est le général Phoumi Nosavan. C'est le début d'une longue période d'instabilité pour le royaume.

Jeune et ambitieux, cousin du ministre de la Défense Kou Voravong, assassiné en 1954, le général Phoumi, fort de l'influence dont il dispose dans le sud du Laos et s'appuyant sur sa parenté avec le maréchal Sarit Thanarath, chef tout puissant du gouvernement de Bangkok, se targue de devenir également l'homme fort du Laos. En mai 1960, il fait élire une nouvelle assemblée dont la majorité, composée d'une grande partie de ses partisans, approuve sans difficultés la constitution d'un nouveau gouvernement présidé par le prince Somsanith et dans lequel il occupe le poste de vice président du conseil et de ministre de la Défense.

Entre-temps, toutefois, la guerre civile a recommencé. Le chef du Pathet lao, le prince Souphanouvong, qui avait été arrêté en 1959 sous le gouvernement Sananikone, s'évade en 1960 de sa prison de Vientiane et rejoint de nouveau ses partisans dans les provinces du nord du pays. Evolution brutale de la situation du royaume qui avait vu disparaître en octobre de l'année précédente le roi Sisavang Vong (après cinquante-cinq ans de règne) et son cousin, le prince Phetsarath, rentré d'exil quelques mois auparavant.

En août 1960, un événement imprévu complique un peu plus la vie politique du pays déchiré entre ses différentes options: un jeune capitaine de parachutistes, Kong Lè, profite du passage de son unité dans la capitale pour prendre la ville et renverser le gouvernement Somsanith-Phoumi Nosavan...

Tout naturellement, Kong Lè, qui professe des idées neutralistes, se tourne vers la personnalité la plus respectée du pays après son souverain, le prince Souvanna Phouma, alors président de l'Assemblée nationale et chef de la branche des Maha Oupahat de la famille royale depuis la mort de son frère aîné, le prince Phetsarath. Le prince, qui avait été entre-temps ambassadeur du Laos à Paris et avait été élu ensuite député de Luang Phrabang en mai 1960, accepte de reprendre le pouvoir dans l'espoir qu'il pourrait être le trait d'union entre les différentes factions.

Malheureusement, les passions sont arrivées à leur paroxysme. Le prince Souphanouvong reste dans l'expectative et Kong Lé tente de reprendre le contact avec lui, mais les principaux membres du gouvernement renversé et un certain nombre de chefs nationalistes refusant d'admettre le fait accompli, se réfugient dans le sud du pays et y forment, à Savannakhet, un contre gouvernement présidé par le prince Boun Oum na Champassak et dont l'homme fort reste le général Phoumi Nosavan.

Cette situation, créée en partie par le senti, ment de la droite que le gouvernement neutraliste du prince Souvanna Phouma est ou sera fatalement prisonnier du Pathet lao, aboutit à la meurtrière bataille de Vientiane de décembre 1960. Au prix de trois jours de lutte, les soldats du général Phoumi et du gouvernement de Savannakhet réoccupent la capitale, forçant le prince Souvanna à s'exiler et les troupes de Kong Lè à battre en retraite vers le nord du pays, dans la plaine des Jarres où elles effectuent leur liaison avec les forces du prince Souphanouvong.

L'action du jeune capitaine, il n'avait qu'une trentaine d'années, dictée sans doute par le désir de faire suivre au gouvernement lao une voie strictement neutraliste et de lui éviter ainsi de prendre parti dans le conflit qui ensanglantait la péninsule, n'avait réussi semble-t-il qu'à entretenir et prolonger la guerre civile latente et à permettre l'installation à Vientiane d'un gouvernement fermement nationaliste présidé par le prince Boun Oum na Champasak, gouvernement où figurait en bonne place le général Phoumi Nosavan, toujours vice-président du conseil et ministre de la Défense nationale.

Ce gouvernement, qui va durer deux ans, doit faire face à son tour à une situation difficile. Les positions sont renversées. Les troupes royales subissent des revers chaque fois qu'elles s'opposent aux forces Pathet lao qui tiennent le maquis. Non seulement elles ne parviennent pas à récupérer les territoires échappés à leur contrôle, mais elles perdent du terrain dans certaines régions, particulièrement dans le nord du pays.

Simultanément, le prince Souvanna Phouma, qui s'était volontairement exilé à Phnom Penh en décembre 1960, au moment de la prise de Vientiane par les troupes du général Phoumi Nosavan, décide de s'installer dans la plaine des Jarres, à Khang Khaï, où il rejoint ses partisans, les troupes neutralistes du capitaine Kong Lè. Son demi-frère, le prince Souphanouvong, profite de l'occasion et le rejoint à Khang Khaï où arrivent en même temps des troupes du Pathet lao. Le problème semble insoluble...

Toutefois, chaque faction convient implicitement de la nécessité de parvenir à un nouvel accord. Dans ce sens, le gouvernement Boun Oum (1960-1962) ne constitue qu'une période de longue attente.

Dès 1961, des contacts sont pris pour provoquer une réunion des trois princes qui dirigent les factions lao: le prince Souphanouvong pour la gauche, le prince Souvanna Phouma pour les neutralistes, le prince Boun Oum pour la droite.

Après de longues tergiversations, marquées par les rencontres de Zurich en juin 1961, de Phnom Penh en août 1961, de Ban Hin Heup en octobre 1961, sont conclus, le 12 juin 1962, les accords de la plaine des Jarres, accords aux i termes desquels est constitué un gouvernement provisoire d'union nationale présidé par le prince Souvanna Phouma et qui permettent d'établir, le 23 juillet 1962, une déclaration définissant la neutralité du royaume.

Le nouveau gouvernement est composé de personnalités des trois partis. Deux vice-présidents du conseil, le prince Souphanouvong et le général Phoumi Nosavan, y représentent, le premier la gauche, le second la droite, le prince Boun Oum na Champassak ayant décidé de se retirer de l'arène politique. Détail significatif, le poste de ministre des Affaires étrangères est attribué à un neutraliste a accentué ), Quinim Pholsena, accepté par la droite, bien qu'il ait été accusé par elle de professer des opinions gauchisantes.

Cette nouvelle réintégration du mouvement Pathet lao, devenu entre temps a Nèo lao Haksat (Vrais patriotes lao), dans la communauté nationale a lieu, apparemment, sous d'heureux auspices: le nouveau gouvernement a pour tâche de consacrer la réunification des différentes tendances et notamment de fondre au sein d'une même armée les forces royales, neutralistes et Pathet lao. De plus, il rassemble des personnalités du nord, du centre et du sud du Laos, fait important dans un pays où le régionalisme joue un grand rôle. La réconciliation paraît en bonne voie.

L'expérience va malheureusement aboutir à l'échec. Les circonstances créées par l'aggravation de la guerre au Viêtnam, le fait que chaque parti représenté dans le gouvernement reste sur ses positions initiales, et en particulier le Pathet lao qui fait durer les pourparlers pour l'intégration de ses forces dans l'armée royale, rouvrent les controverses. Très vite, les trois partis se rendent compte des difficultés de " coexistence " au sein d'un même gouvernement de personnalités ayant adopté et continuant à adopter des a attitudes politiques extrêmes ". Très vite aussi, par la force des choses, les chefs du mouvement neutraliste sont entraînés soit vers la gauche, soit vers la droite. Dès lors naissent les premiers accrochages, les premières frictions. Les positions s'accentuent de nouveau. De nombreux incidents opposent les partisans des trois tendances...

Le 1er avril 1963, l'assassinat à Vientiane du ministre des Affaires étrangères, Quinim Pholsena, alors qu'il rentrait d'une réception au palais royal, consacre la reprise des hostilités. Fait particulièrement symbolique, le ministre, considéré comme " neutraliste de gauche , tombe sous les balles d'un soldat neutraliste de sa garde.

Cet assassinat marque la rupture définitive. Les deux ministres Pathet lao, le prince Souphanouvong et Phoumi Vongvichit sont partis pour la plaine des Jarres, ne s'estimant plus en sécurité à Vientiane. Ils sont imités par deux ministres neutralistes tandis que les deux secrétaires d'Etat Pathet lao restés dans la capitale se a réfugient " dans les locaux de la délégation polonaise de la C.l.C. (Commission Internationale de Contrôle, créée sous l'égide des Nations Unies pour contrôler l'application des accords de 1962 et comprenant des représentants de l'Inde, du Canada et de la Pologne). De son côté, le général neutraliste Kham Ouane Boupha entre également en dissidence dans la province de Phong Saly et fait cause commune avec le Pathet lao alors que dans la plaine des Jarres, au terme de durs combats, les troupes neutralistes du général Kong Lè, restées fidèles au prince Souvanna Phouma et au gouvernement de Vientiane, doivent évacuer les positions qu'elles avaient acquises après leur départ de la capitale en décembre 1960 et se replier à l'ouest et au sud.

Les dés sont jetés: le Pathet lao aux yeux des membres du gouvernement de Vientiane semble vouloir faire la preuve qu'il ne veut pas rompre avec les principes qui le lient à une idéologie étrangère, ni avec le secours qu'il en reçoit. Quant au gouvernement, il subsiste, décidé à poursuivre envers et contre toutes les vicissitudes la réalisation du programme fixé par les accords de 1962.
(Les portefeuilles des ministres Pathet lao sont confiés à des intérimaires mais les ministres neutralistes dissidents sont automatiquement remplacés, le prince Souvanna Phouma n'admettant pas que des membres du parti dont il est le chef fassent cause commune avec une autre faction.)

La lutte reprend, rendue plus âpre par l'échec de la dernière tentative de réconciliation et par le redoublement des activités guerrières au Viêtnam. Le Laos, par sa situation géographique, est fatalement plongé dans les querelles de ses voisins. La dissidence Pathet lao permet l'utilisation de son territoire pour des opérations militaires qui ne le concernent pas ou plutôt ne devraient pas le concerner.

Il existe en outre des problèmes d'ordre intérieur, nés avec le coup d'Etat déclenché par le général Phoumi Nosavan, en décembre 1959. Ce dernier est toujours vice-président du conseil et ministre des Finances du gouvernement provisoire d'union nationale, mais en décembre 1963, la mort de son parent, le maréchal Sarit Thanarat, premier ministre de Thaïlande, le prive de l'appui dont il disposait à Bangkok.

L'attitude ambiguë du général ne laisse pas de compliquer les choses pour le gouvernement de Vientiane et va provoquer toute une série de convulsions intérieures, qui aboutiront à son élimination de la scène politique lao.

La tension monte en effet progressivement, au sein du mouvement national de Vientiane, inquiet des ambitions possibles du général Phoumi. Le 19 avril 1964 a lieu à Vientiane un coup d'Etat militaire dans lequel il joue un rôle assez trouble et que la radio du Pathet lao dénonce comme un (( coup de la droite )), Dans la nuit du 4 au 5 août de la même année se déroule une crise confuse dont il est un des principaux protagonistes avec le tout, puissant chef de la police, le général Siho Lanphouthakoul .

Le 31 janvier 1965, une tentative de coup d'Etat effectuée à Vientiane par un de ses familiers provoque une crise de trois jours que termine le 3 février l'action déclenchée par le général Ouane Rathikoune, commandant en chef de l'armée, et le général Kou Prasith Abhay, commandant en chef adjoint et commandant la région militaire de Vientiane, qui prennent la capitale et forcent les généraux Phoumi et Siho à s'exhiler en Thaïlande.

La situation confuse créée, sur le plan intérieur, depuis le coup d'Etat de décembre 1959, s'éclaircit désormais. Le général Phoumi est remplacé en tant que vice-président du conseil et "leader de la droite" par Leuam Insisiengnay, ministre de l'Education, et en tant que ministre des Finances par Sisouk na Champassak, le premier beau-frère, le second neveu du prince Boun Oum na Champassak. L'unité du royaume se reconstitue et le gouvernement du prince Souvanna Phouma se retrouve plus fort et plus homogène pour faire face à la menace représentée par la dissidence Pathet lao et les batailles qui se déroulent à ses frontières et sur son sol même.

Il semble en effet que le prince Souphanouvong et son mouvement se soient endurcis entre temps dans leur intransigeance. (Pendant l'été 1964, une tentative avait été faite pour trouver un nouveau terrain d'entente: les trois princes s'étaient rencontrés en France, à La Celle Saint Cloud, mais les positions trop tranchées avaient éliminé tout espoir d'accord.)

Ce nouvel échec n'a pas empêché le prince Souvanna Phouma, toujours chef du gouvernement d'union nationale, de poursuivre sa politique et de tenter de préserver par tous les moyens et quelles que soient les circonstances la neutralité du Laos définie par les accords de 1962, ceci malgré toutes les dissidences, malgré toutes les interprétations contradictoires de ces accords et quelle que soit l'évolution des événements dans les pays voisins.

Le chef du gouvernement actuel du Lao estime en effet de son devoir de tenir son pays en dehors d'un conflit qui ne peut que lui amener la destruction et à l'écart des batailles idéologiques qui ont lieu dans tout le sud-est asiatique et dans le reste du monde.

Depuis l'éviction du général Phoumi Nosavan, du général Siho et du général Thao Ma, commandant en chef de l'aviation (qui, le 23 octobre 1966, bombarde avec ses avions la capitale et doit ensuite s'enfuir à son tour en Thaïlande), la situation intérieure du pays s'est améliorée d'une manière incontestable. Le 1er janvier 1967, une nouvelle assemblée législative a été élue, qui approuve, quelques mois plus tard, la politique du prince Souvanna Phouma et le remaniement de son: gouvernement (remaniement qui permet 3i des jeunes de toutes les tendances d'accéder à la direction des affaires publiques). La poli tique lao est toujours axée sur la déclaration; de neutralité de 1962.

Les seuls points noirs restent la dissidence Pathet lao, l'utilisation du territoire lao par des troupes étrangères à des fins militaires et la précarité de la situation générale dans le sud-est asiatique, situation dont le Laos est inévitablement tributaire.

Pourtant, ce long pays accidenté serré entre la Cordillère annamitique et le Mékong, aux frontières démesurées, existe bien désormais, en dépit de toutes les convoitises, malgré toutes les vicissitudes de son histoire. Il a traversé bien des crises, évité bien des démembrements. Il a recouvré son indépendant, son unité territoriale, conservé intactes ses traditions.

Le Lane Xang ne veut pas plus intervenir dans des querelles étrangères qu'accepter que des interventions extérieures entraînent chez lui des querelles intestines. Il tient à ce que les différentes ethnies qui ont formé et constituent toujours son peuple continuent de vivre en commun sur un sol où elles se sont installées depuis de nombreux siècles.

La politique du prince Souvanna Phouma, premier ministre du gouvernement d'union nationale depuis 1962, qui dispose de l'appui total du chef spirituel du pays, S.M. Sri Savang Vatthana, roi du Laos depuis la mort de son père, S.M. Sisavang Vong, le 29 octobre 1959, n'a pas d'autre but: prouver qu'une communauté de près de trois millions d'habitants, même si elle n'a pas grande voix au chapitre international, peut participer à l'évolution de la civilisation au même titre que les autres nations, malgré toutes les idéologies arbitraires et en conservant son originalité; prouver que cette communauté peut subsister, même si elle est entraînée malgré elle dans des péripéties politiques et guerrières qui ne sont pas de son fait mais dont certains auraient peut-être voulu lui faire subir les frais.

Dans cet esprit, tous les Lao regardent avec confiance l'année 1968 à la fin de laquelle doivent alors lieu, symboliquement, les cérémonies solennelles du couronnement du roi Sri Savang Vatthana et qui verra, espèrent-ils, le retour de la paix dans le royaume et la disparition définitive des convulsions intérieurs.

2ème parite, de 1967 --> 1975.

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